La galanterie populaire a longtemps affiché une prédilection pour les métaphores maritimes.
Bien avant de désigner un laideron, le thon signifiait une « fille facile » et la drague, un filet de pêche dont l’armature métallique permettait de ratisser large. Draguer un étang ou un cours d’eau revenait à récolter aussi bien mollusques et poiscailles qu’immondices en tout genre. Il convenait ensuite de trier le bon grain de l’ivraie.
En argot, le terme signifia d’abord « roder » ou « battre du terrain pour trouver quelqu’un ou quelque chose. »
À la fin des années 50, ce « quelqu’un ou quelque chose » se vit réduit à la seule cible féminine et le dragueur, appellation popularisée en 1959 par le film éponyme de Jean-Pierre Mocky, devint ce séducteur des lieux publics officiant à la sauvette et nanti d’une triste réputation.
Dans son Guide du parfait Dragueur, Alain Ayache fait l’impasse sur les origines lexicales de sa discipline favorite. Tout juste note-t-il que, selon le Petit Larousse Illustré, le dragueur est « un homme qui exerce sa profession en profondeur. »
Pourtant, dans cette activité, « tout est affaire de baratin. » La profondeur du dragueur se résume aux apparences. L’adepte de ce type de braconnage n’a que du vent à offrir et, si il souhaite réussir dans ses manigances sentimentales, la légèreté demeure son principal atout.
Le compliment s’applique d’ailleurs à ce guide, que l’on s’imaginait de prime abord plutôt balourd.
Si l’auteur prise assez peu le quartier Saint-Germain, il exhale de son ouvrage un léger parfum Nouvelle-vague. Les aspirants Antoine Doinel apprécieront. Lire ce guide, c’est retrouver une époque où l’absence de sérieux présidait favorablement aux basses manœuvres de séduction.
En parfait von Clausewitz des yeux de velours, Alain Ayache détaille ainsi les divers aspects de la piraterie cordiale – abordage, baratinage, finissage – avant de longuement se pencher sur la géographie toute parisienne de cette activité.
Dans la partie « drague des rues, » le lecteur apprendra que la sortie du Concert Mayol (rue du Faubourg-Saint-Denis) est un plan d’enfer (« Allez-y vers minuit moins dix, voiture absolument indispensable. Facilité de séduction inimaginable. ») – mais il convient de ne pas négliger des endroits plus communs, comme les Champs-zé sur lesquelles « 14.200 femmes passent et repassent chaque jour entre 17 et 19 heures. »
Néanmoins : « seuls quelques tronçons sont rentables, » comme l’angle de la rue de la Boétie et rue du Colisée, fréquenté « par des flâneuses… facilement abordables. »
Viennent ensuite, pour ceux qui, aux transports pédestres, préfèrent la station assise, la drague de bars, cafés et salons de thé et surtout, le gros morcif de ce guide, la drague en boite de nuit.
Chaque club de Paname s’y trouve détaillé à l’aide d’une mince grille symbolique : prestige de l’endroit, beauté et genre des femmes qui le fréquentent, facilité avec laquelle on y lève.
Le Crazy-Horse Saloon est recommandé aux débutants (« s’y rendre vers 23 h 30 »). Le Club des Champs-Elysées est un « vaste champs d’action », tout comme le Club Écossais où l’on « flirte à gogo. » Le prix des consommations oscille entre 700 et 1 000 anciens francs. Le samedi est favorable au Trois Maillets, le dimanche au Château du Maine et l’on fait « des affaires après deux heures du matin » au Puerta del Sol.
À 18 km de Paris, au Sabretache, « la tendresse s’obtient avec une pièce de 50 francs dans le juke-box. » Quant au Kilt, il propose 18 minutes de cha-cha-cha et « beaucoup, beaucoup d’anglaises. »
Le guide se conclut justement par l’étude de quelques cas particuliers : la milliardaire (« consécration suprême pour tout modeste dragueur »), la provinciale (qui « n’est pas toujours une fille aux joues rougies par l’air vivifiant de la campagne, aux doigts épais, aux chaussures larges, à l’œil éteint, au rire niais ») et enfin, les étrangères.
Vous y apprendrez que les anglaises disent « plus facilement ‘yes’ que ‘no’ » ; que les allemandes demeurent « aussi sûres que les Volkswagen » ; que les américaines sont à la drague « ce que le homard flambé à l’alcool peut être à un bon repas. »
Le dragueur aime les généralités. Cela aussi témoigne de sa parfaite absence de profondeur.
L’auteur remettra le couvert six ans plus tard avec un Guide du Play Boy chez Belfond ; puis devint patron de presse. On lui doit un fameux quotidien hippique, Le Meilleur, et deux magazines bien connus des ménages français : Réponse à tout et Questions de femmes – titre de circonstance.
Quant à la drague, elle connut deux autres spécialistes littéraires : Alain Paucard avec son Guide Paucard des filles de Paris (1983) et Alain Soral avec sa Sociologie du Dragueur (1996).
Voila qui confirmera, aux yeux de certains, l’aspect franchement douteux de cette pratique sportive et libidinale en milieu urbain.
—
Guide du parfait Dragueur, Alain Ayache
Éditions Pierre Horay, 1960
—