LA VEDETTE MISE A NU PAR SES SPECTATEURS, MÊME

arianearagonEn 1967 paraissait un bref essai critique, divisé en 221 thèses, et qui s’ouvrait sur ces lignes, fameuses : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui n’est pas vécu directement s’est éloigné dans une représentation. »
En 1967, et parmi des milliers d’autres marchandises fictionnelles jetables, paraissait aussi le premier roman du journaliste Patrick Thévenon, Ariane Aragon (a.a.), gadget littéraire composé à l’aide de ciseaux de la marque Nogent, de colle Limpidol et de journaux à fort tirages : Cinémonde, France Soir, Marie-Claire, Paris-Match, L’Express, etc.
L’objet était alors vendu comme un roman-collage – l’éditeur allant jusqu’à affirmer en quatrième de couverture : « c’est le premier roman-collage. Personne ne s’avisera jamais de tenter une pareille gageure. »
Harangue bassement commerciale. La même année, Walter Lewino publiait L’Éclat et la blancheur chez Albin Michel, « assemblage de textes empruntés à la publicité, aux périodiques ou encore à certaines œuvres de penseurs sérieux, » et deux ans plus tôt, l’éphémère situationniste Jean-Pierre George donnait aux éditions Fayard, sous une couverture en toile cirée blanche signée Pierre Faucheux, son Illusion tragique illustrée, « succession de séquences faites d’éléments préfabriqués et découpés dans la presse. »

On le voit, le roman-collage, genre qui fit long feu, avait parfaitement digéré l’apophtegme de McLuhan – le médium est le message – tout en donnant tort à ce penseur de la communication lorsqu’il affirmait que « la presse est […] absolument irrécupérable du point de vue du livre ou de la littérature. »
Mais contrairement à ses deux contemporains, qui employèrent le collage afin de donner une image inquiétante du monde de demain, Patrick Thévenon demeurait avec Ariane Aragon sur le seuil frivole du sociologique ; à la fois roman à la Sagan écrit par une machine à calculer électro-combinatoire et réflexion roublarde sur cette grandiose mythologie en papier glacé qu’était alors la star du cinématographe.
Car Ariane Aragon – la double initiale de son héroïne ne saurait tromper – c’est Brigitte Bardot… mais, privilège des assemblages littéraires artificiels, c’est aussi Jean Harlow, Liz Taylor, Marilyn Monroe, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve et quelques autres. Tout simplement : « la comédienne la plus moderne de son temps, » enchaînant tournages et amourettes comme il convenait de piloter à cette époque son automobile : cheveux au vent, pied au plancher. « Ariane Aragon fonce à 180 à l’heure vers la gloire » annonce la Une tapageuse d’un journal tandis qu’un autre titre reprend plus loin : « Pour Ariane Aragon, le baromètre de la popularité marque DANGER. »

Fidèle à sa matière, le roman n’est constitué d’aucun chapitre mais uniquement d’articles et de colonnes qui, à la façon des magazines pillés par l’auteur, empilent arbitrairement éditoriaux, brèves de Paris, celebrity bulletins, critiques de films, horoscopes, mots croisés, interviews, ragots, confidences mémorielles.
L’emploi exclusif de ces matériaux futiles ôte alors toute aspérité au récit, tout relief, illustrant en cela la proposition première de La Société du Spectacle : la vie d’Ariane Aragon se trouve niée par sa représentation même.
Mais le roman se prend aussi à son propre piège, car cet emploi exclusif de matériaux futiles le condamne souvent à un discours futile. « Vous savez » explique Ariane Aragon à un intervieweur, « la célébrité, ça n’a l’air de rien, mais c’est dur à porter. »
On sait que, tel qu’il fut théorisé par Wolman et Debord, le détournement consistait à produire des rapprochements nouveaux. Ici, tout participe du même registre, celui de la platitude publicitaire, et s’amplifie en vase-clos. Rien jamais ne vient contrebalancer l’absence de profondeur de la vedette. Les rapprochements demeurent parfaitement banals : ce sont ceux, fort connus, de la presse à sensation ; faux merveilleux et faux tragique vidés de toute substance.

Après cet essai, Patrick Thévenon disparut un temps des écrans-radars. Camouflé sous le pseudonyme d’Estève Non, il fourbit quelques nouvelles formes expérimentales chez Balland (dont un étrange livre-rébus « composé uniquement d’illustrations et d’idéogrammes ») avant de revenir sous son propre nom pour un second premier roman, L’Artefact, effaçant ainsi de sa bibliographie une Ariane Aragon qui ne méritait pas tant de mépris.
Car le principal défaut de cette babiole méta-romanesque – son absence sensible de profondeur – lui offre aussi une saveur toute particulière, propre à cette époque qui n’existait que par et pour l’illusion, et jouissait de se regarder vivre sur les écrans géants des temples cinématographiques et les réclames en pleine page des magazines.
Se regardait vivre, en quelque sorte, comme ne peut qu’être lu ce livre : à distance.


Ariane Aragon (a.a.), Patrick Thévenon
Claude Tchou éditeur, 1967

AUDIARD Ô DÉSESPOIR !

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Je l’avoue, je suis loin d’être un fanatique du père Audiard. Le bonhomme aurait même tendance à me les briser menu avec ses manières de publiciste poujardo-argoteux éparpillant façon puzzle les beaux sujets d’adaptation cinoche en soupe au navet de luxe.
Par exemple, l’autre jour, j’ai maté La Métamorphose des Cloportes.
Une catastrophe.
À la décharge du gars Audiard, l’homme n’y officiait pas seulabre. Son mentor, le grand Albert Simonin, était aussi de la partie. L’aurait été mieux inspiré, celui-là, de se casser une patte plutôt que de s’attaquer à l’adaptation du bouquin de Boudard.
Après leur passage, aux deux ostrogoths, ça ne ressemblait plus à rien, cette confession d’un ex-taulard converti au saint-germanisme hussardifié, c’en devenait d’ailleurs atterrant.
Même Jimmy Smith, qu’entrave pourtant queudale à la langue de Le Breton, claviotait à la sinistre sur son orgue hammond, délaissant le mod-jazz exalté pour la marche funèbre de circonstance.
Brrr…
Ne nous fâchons pas, je l’ai vu, lui aussi, mais il y a de ça une sacrée paye. Le sujet, cette fois, est de Audiard himself. N’empêche, je n’y refoutrais pas mon jeton de mate avant longtemps.
J’en garde un souvenir assez tiède. Quelques moments marquants – principalement les minets british sur leurs mobylettes débiles – surnagent dans un océan de platitude typique à ce cinoche franchouillard comico-populaire et/ou (rayez la mention inutile) polardo-pontifiant dont le triste Lautner fut si longtemps le fer de lance le plus vaillant.
Du coup, pourquoi me farder le livre qu’Audiard en tira ?
Probable que je conçu la chose comme un dérivatif. J’étais alors en plein dans des lectures sérieuses, en vue de l’écriture d’un article encore plus sérieux, et il me fallait un polar rapidement torché pour décrocher un coup de ma besogne gambergeuse.
Ne nous fâchons pas passa par là. Je m’en saisi.
Je ne fus ni surpris, ni comblé, ni deçu. Le machin se lit comme on boit un litre de blonde en Forêt Noire.
Voila déjà une qualité certaine.
Ensuite, délesté des images mouvantes de Lautner, c’est vachement plus digeste.
Et si les expressions argoteuses ont (comme toujours chez Audiard) le systématisme facile – avec par endroits une restriction drastique du champ lexical (« Scratch ! Boum ! Plof ! ») – ce serait médire que de renier au larron une belle aisance dans le maniement de la plume.
Ne sont-elles pas un brin choucardes, les perles que je t’enfiles ?
Si fait.
Mais ce bouquin, que certains papetiers malhonnêtes vendent une fortune sur la toile, méritait bien qu’on lui tresse ce collier de rien du tout.

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Ne nous fachons pas, Michel Audiard et Marcel Jullian, Librairie Plon, 1966

COUP DE DOULE À NICK CARTER

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Plus qu’un simple roi des détectives, Nick Carter était le caméléon des fictions populaires.
Sherlock Holmes américain à la fin du 19e, adversaire de Zigomar dans les sérials de la firme Éclair, détective dur-à-cuire au format pulp et à la M.G.M., Nick Carter changeait d’atour au grès des saisons, en un constant va-et-vient des deux cotés de l’atlantique.
Rien d’étonnant donc, à ce qu’on le retrouve en 1964 reconverti espion argentique dans une production européenne, empruntant les traits d’Eddie Constantine sous la houlette de l’écrivain et journaliste Jean Marcillac.
Générique.
Les films Fernand Rivers S.A. présentent / Nick Carter va tout casser !

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Mais ça ne barde pas que sur pelloche.
Marcillac fait coup double et publie aux éditions de l’Arabesque la novélisation de son scénario. Si le film pâtissait de la réalisation lymphatique d’un Henri Decoin en fin de course, le roman est plein d’entrain.
Marcillac s’amuse à relooker ses lectures d’enfance. Des Chinois veulent s’emparer d’une machine à dézinguer avions et fusées. Leur chef, une vamp bridée, dépèce ses amants et les passe au broyeur électrique après l’amour.
Forcement, Nick Carter enquête, son petit chapeau vissé sur le crâne. Avec pour toile de fond un vieux château hostile, une campagne obscure et la côte d’azur.
Si l’intrigue a contracté au contact de son époque le virus de l’espionite légère, les décors ne se déparent pas de la touche feuilleton début du siècle que Marcillac distillait déjà dans l’émission radiophonique Les exploits de Nick Carter – cette même touche que l’on retrouve aussi dans les entêtes de chapitres : L’anneau de la mort, L’homme à la cagoule, Une fumée couleur de sang, L’usine à massacre.
Du bon boulot – seul effort de Marcillac dans le genre – et qui, à la manière du Silence Clinique d’Eddy Ghilain (autre one-shot cinématographique et littéraire de l’espionnage-pop à la française), réussi à concilier le goût du rétro aux coups d’accélérateurs rageurs des sixties.

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Contrairement à Marcillac, les éditions de l’Arabesque et les producteurs de cinéma remettront (mais pas de conserve) le couvert les années suivantes.
Les premières lanceront dans leur collection Espionnage la série Nick Carter – Agent spécial privé écrite sous le pseudonyme de Noël Ward par Jean Buré (alias Jan de Fast au Fleuve Noir et Karol Bor à l’Arabesque.) Paraîtront 7 épisodes, de 1966 et 1969.
Les seconds produiront en 1965 un deuxième et dernier film – Nick Carter et le Trèfle Rouge – toujours avec Eddie Constantine dans le rôle titre mais, Alphaville étant passé par là, substitueront au cinéma à la papa de Decoin une approche toute nouvelle-vaguiste de la chose. Le résultat, signé par un assistant de Godard, Jean-Paul Savignac, est fort plaisant pour qui aime le bazar, l’approximation et l’humour. Jeanne Valérie (la sœur de Gérard Blain dans le Joë Caligula de Benazeraf) y est magnifique et le scénario, allez comprendre pourquoi, est adapté d’un roman de Claude Rank, Bombe sur table, paru aux éditions du Fleuve Noir (collection Espionnage # 463, 1964). Rien avoir avec Nick Carter, il s’agit là d’une aventure de Jeff Larson, alias K-16, espion de papier que Ray Danton interpréta au cinéma en 65 dans Corrida pour un espion, signé Maurice Cloche et adapté de la première aventure de K-16 (Corrida pour un espion, Claude Rank, Fleuve Noir # 459, 1964)
Vous avez suivi ? Si oui, Nick Carter vous tire son chapeau.