LE COIN DU CONSOMMATEUR

INTOXEXPORT

Les éditions Promodifa occupent une place à part dans l’histoire de la littérature virile.
Si les universitaires tendance barthésienne connaissent le degré zéro de l’écriture, les auteurs de chez Promodifa, taupes modèles du style populo-laborieux, préféraient usiner au niveau moins trois.

Actif au cours des années 70, cet éditeur filouteux pratiquait un mélange de romance brutale (polar, espionnage ou récit de guerre) et de pornographie maniérée façon garçon-boucher mais d’où se trouvait bannie toute référence directe au pénis et au vagin, aux joyeuses et au tirelingue, à popol et à pollux.
En lieu et place des parties incriminées, l’auteur bricolait de réjouissants fourreaux soyeux et/ou humides que venaient percuter des glaives de chair brûlante et autres turgescences en folie.
Dans un précédent billet, j’écrivais (on est jamais mieux cité que par soi-même) : « Promodifa, c’est le tigre dans votre moteur. Mesdames : le chibre dans votre moiteur. 192 pages d’un plaisir pur et intense. Même lorsque ce n’est pas bon (et ce n’est jamais bon !), ça fait du bien. »
Nouvel exemple aujourd’hui avec le numéro 16 de la collection Mystérotic : Intox-export, signé John Lee – un pseudonyme de Michel Grebbel, l’un des deux auteurs-phares de chez Promodifa, responsable à lui tout seul d’une bonne moitié de la production maison.
Et pour le coup, je vais donner dans la nouveauté, cambuter la formule habituelle, analyser ce machin en une lecture chapitre par chapitre. Voila qui fait méchamment moderne, radicalement dans le vent, j’ai envie de dire : aussi disruptant qu’innovant.
Alors, accroche tes miches pendant que j’incube du ciboulot because, ça va diffracter !

CHAPITRE 1. Jim Hackman, « un fieffé coquin totalement dénué de scrupules, » contemple le port de Hong Kong depuis la baie-vitrée de son maousse burlingue de trafiquant d’opium plein d’oseille. Entre alors sa secrétaire, Tien Hung, une vietnamienne de seize ans encore vierge. Pris de cette subite inspiration qui se traduit par une raideur vers l’aine (dixit Rimbaud), Hackman entreprend gaillardement la môme, histoire de reléguer au rayon pertes et fracas le berlingot de cette dernière.
« (…) les vietnamiennes étaient peut être moins expertes en amour que les Chinoises mais (…) elles avaient par contre la réputation d’être plus vicieuses. »
Nous n’en saurons pas plus car : « (…) il s’apprêtait à ouvrir sa braguette lorsque le vibreur de l’interphone l’interrompit. »

CHAPITRE 2. C’est un agent ripoux des Narcotiques qui demande une entrevue. Il a des informations à monnayer. Une fois l’importun évacué, Hackman reprend sa petite affaire là où il l’avait laissé. Et cette fois, c’est la bonne. Tien Hung se fait débrider.
« Pestant de la trouver si étroite, il dut batailler pour arriver à faire penetrer son énorme bourgeon dans la fragile corolle. »

CHAPITRE 3. Le héros entre en scène. Dans un Boeing 747 à destination de Hong-Kong, Richard Hamilton, agent du FBI chargé d’enquêter sur les agissements d’Hackman, drague une journaliste anglaise, blonde et ravissante. Les toilettes de l’appareil étant hors-service, ils ne peuvent concrétiser leur flirt. Le lecteur ronge son frein.

CHAPITRE 4. Arrivé à Hong-Kong, Richard rencontre Tien Hung et lui propose un rencard galant à la cantoche de l’hôtel Hilton. Son frein passablement rongé, le lecteur s’attaque à la boite à vitesse. L’auteur recevra-t-il ce subtil message ?

CHAPITRE 5. Réponse affirmative. Le dîner aux chandelles s’avère fructueux. Richard invite Tien Hung à monter chez lui – et ce n’est pas pour sucer des glaçons ou mater des estampes. « Tout en la caressant avec une douceur infinie, il pénétra sans hâte dans le sanctuaire palpitant, s’enfonçant avec précaution dans l’étroit fourreau, remontant lentement jusqu’au fond du calice. »
Contrairement au méchant, notre héros est un vrai gentleman.

(coupure publicitaire)

PROMODIFA-warsex

(fin de la coupure publicitaire)

CHAPITRE 6. Richard enquête sur Hackman pendant huit longues pages puis croise la journaliste anglaise du chapitre trois. Ils échangent alors des banalités romantiques super-chiantes pendant quatre pages sans même se rendre compte que la vie est courte, que chaque seconde compte, que le temps perdu ne revient plus, bref, qu’ils feraient mieux de s’envoyer en l’air illico. Raté. « Il alluma une cigarette en se traitant d’imbécile. »

CHAPITRE 7. Richard est mélancolique. Il boit du ouiski. Il s’emmerde vigoureusement. Nous aussi. Heureusement, Tien Hung débarque. L’asiatique connaît la musique. Elle libère « le mâle organe de ses entraves, le faisant jaillir au dehors entre ses doigts agiles. » L’alexandrin n’était pas loin et Richard se trouve « ébloui par les enivrants frôlements de cette étrange prière. »

CHAPITRE 8. Veuillez patienter – ne quittez pas – un correspondant cherche peut-être à vous joindre.

CHAPITRE 9. Le premier coup de feu est tiré. Nous sommes en page 131. Qui dit mieux ?

CHAPITRE 10. L’auteur met le turbo. Richard est traqué par les méchants. Tien Hung se fait kidnapper. N’ayant plus sa mousmé sous la pogne, le héros s’envoie la blonde journaliste des chapitres trois et six.
« – Ooooh !… Richard… gémit-elle en s’ouvrant davantage. Si tu savais… si tu savais comme j’en avais envie… »

CHAPITRE 11. Tout ragaillardi, Richard repart au schproum, fout le rif à des jonques remplies d’armes et de schnouf puis sauve Tien (qui vaut mieux que deux tu l’auras) des griffes des méchants, tous kaput. Le lecteur est heureux, le roman est fini.

BILAN. On peut s’avouer déçu. Vingt-cinq pages de gambettes en l’air sans fantaisies, deux molles fusillades, une vague course-poursuite ; ça fait pas lerche. Le roman manque cruellement d’action. C’est du Promodifa service minimum. Néanmoins, avec un prix de vente en Emmaüs et vide-grenier tournant aux alentours de 50 centimes d’euros (auquel il faut rajouter le prix d’un pack de kronenbourg, soit approximativement 3 euros 42), nous aboutissons à un coût de revient d’environ 0,02 centimes la page.
Si l’on compare avec une sortie récente de chez Gallimuche, par exemple le dernier Jean d’Ormesson qui, lui, coûte 6 centimes la page (et sans les kronenbourg), il n’y a pas à tortiller : Promodifa l’emporte haut la main.
Bref, pour faire court, en abrégé des agrégés : C.Q.F.D.


Intox-export, John Lee
éditions Promodifa / Mystérotic # 16, 1975.

FRAGMENTS D’UNE BIBLIOTHÈQUE EN DÉSORDRE : UN SUISSE LUBRIQUE

culbutes

Dans le précédent billet – le guide du queutard – j’évoquais au détour d’une phrase « les grandes œuvres pornographiques (mais bien trop méconnues) que Pierre Genève signa dans les années 60 en collections Citer et Véronèse. »
Ça n’a pas du causer à grand monde.
Ça peut se comprendre.
Afin d’éclairer un peu mieux le sujet, en voici donc trois, de ces fameux bouquins. Ils furent édités au début des années 60 par Georges Garnot, un proche de Roger Dermée (les éditions du Trotteur) et d’Edmond Nouveau (les éditions de l’Arabesque).
La belle triplette de filous que voila !

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Combien en existe-t-il d’autre, des bouquins de Genève dans ces deux collections ?
À vue de nez, une demi-douzaine, et sous autant de pseudonymes. La multiplication des signatures rend leur identification malaisée, d’autant que ces bouquins-là sont assez durailles à dénicher.
De véritables edelweiss de la littérature lubrique.

La particularité des romans de Pierre Genève – qui débutait alors dans l’exercice de la polygraphie alimentaire payée au lance-pierre – reste leur vulgarité frénétique.
Du jamais vu pour l’époque.

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Le canevas, toujours rudimentaire, permet tous les dérèglements et l’auteur, qui aime à se qualifier de « Saint-Simon du coït » ou de « Napoléon de la banderie », nous pond à longueur de pages de réjouissantes perlouzes comme « Ma fusée est prête à se satelliser dans sa chagasse » ou « Ma queue était superbe, semblable à un minaret damascène se dressant au-dessus de ses coupoles rondes. » On le sent survolté, le mec. C’est de la pornographie zazou, avec cette impression de lire un Boris Vian azimuté et priapique. « Bander et foutre, c’était mon gagne-pain » nous avoue-t-il.

Dix années et une bonne cinquantaine de romans de gare plus tard – principalement dans le registre de l’espionnage à deux balles – Pierre Genève lancera sur le marché des kiosques et librairies les éditions Euredif, célèbres pour leurs collections pornographiques bon marché à gros tirage. Certains de ses pseudonymes de l’époque Citer & Véronèse – Pépé Larista ou Saint-Amour – continueront à l’accompagner au fil des catalogues mais les débordements de ses débuts n’étaient définitivement plus de mise. L’ancien scribouilleur de cochoncetés à la sauvette était désormais directeur de collection, ça change tout.

Ainsi, si bouffer de la vache enragée donne assurément du nerf au vit, il est regrettable qu’une fois rassasié, celui-ci ne conserve pas sa première verdeur.


Culbutes
, Johnny Fagg, collection Citer 1963
À belles dents, K.R. John, collection Véronèse 1960
Le lit à baldaquin, St Amour, collection Citer 1963

LE GUIDE DU QUEUTARD

sexum
Sexum, Max Lover (éditions C.E.F, 1971)

La pornographie a ceci de merveilleux que tout, absolument tout, y est possible. Non seulement « la réalisation du désir devance sa formulation » (pour reprendre les mots d’Annie le Brun) mais réalisation et formulation enfoncent joyeusement tous les excès, se permettent toutes les outrances, combinant l’incroyable à l’aberrant, l’étonnant à l’atterrant, envoyant le bon goût à la baille comme l’on tire la chasse.

Ainsi ce bouquin de pas grand chose, récupéré lors d’une razzia aux Petits Riens de la rue américaine d’Ixelles : Sexum.
Le titre, roublard, braconne sur les terres d’Henry Miller mais la volonté d’une certaine honorabilité littéraire n’ira pas plus loin.
La présentation ne saurait faire illusion. Sexum est un sale bouquin de cul. Sexum est pur de tout artifice culturel. Sexum sera nul et sa nullité demeurera rayonnante.

Les premières pages sont en cela parfaitement édifiantes. Georges, notre héros, prend un bain. Le bout de son gland émerge du fil de l’eau et, sur cet « îlot perdu au milieu de l’océan, » Georges pose un hanneton.

« La bouche entrouverte, Georges se laissa envahir par le plaisir. Il n’y avait pas de quoi se mordre les lèvres ! Même une suceuse maladroite aurait fait mieux ! Néanmoins, ce hanneton s’y prenait assez bien et ses petites pattes détenaient un réel pouvoir de jouissance. Baiser avec un hanneton, c’était presque aussi original que d’enculer des mouches ! »

Entre deux spasmes, Georges se questionne. « […] quel était son sexe, à ce hanneton. Avec un mâle, ne se livrait-il pas à un acte de pédérastie ? »
Enfin, Georges éjacule et son jet propulse l’insecte dans les airs, k-o.
Le roman est lancé.
Et si la suite ne surenchérira pas quant à l’absurdité totale de cette scène initiale – cas unique, je pense, de mélolonthinophilie en littérature lubrique – elle entérine néanmoins un niveau de loufoquerie assez rare dans le genre, habituellement plutôt terne, du bouquin de sex-shop.

Classiquement structuré en un feuilleton épistolaire (un couple libertin, Georges et Rosa, échange via les PTT ses expériences de débauche en province) et parsemé de minables calembours tout juste dignes d’un sous-San Antonio, Sexum joue au porno de terroir et opère une radiographie gentiment allumée de la France du bas-ventre.
Défilent ainsi, le long de cette pérégrination désirante au cœur de notre sexagone secrète, un python lubrique des bords du Cher, des nains circassiens du Jura, un cheval de trait du sud-ouest creusois, une femme enceinte orléanaise et les onze joueurs du football-club de Dole.

Sur une aire d’autoroute du 38 (Isère), madame s’envoie en l’air avec des pandores motorisés et, tandis que le premier lui enfonce le canon de son pistolet réglementaire dans le fion, le second se pogne en malmenant son dard « comme il l’aurait fait d’un gauchiste. »
Plus tard, à Lons le Saunier, la voila qui suce un artiste de cabaret. « Tu sembles avoir réinventé l’art de la fellation. Tu es le Picasso de la pipe, le Salvador Dali du pompier… Quelle personnalité ! Quel talent !… Chapeau à tes maîtres… »

De son côté, tout seulabre à Limoges, Monsieur repense la lutte des classe en marx arrière. « J’aime assez sodomiser un ouvrier qui sent la sueur et le linge pas très frais » nous confie-t-il avant de se faire sauvagement pilonner le derche par un bande de prolétaires nord-africains adeptes de l’huile d’arachide.

« – Dis-moi que c’est bon d’être enculé, hein ! Dis-le…
– Je le dis, je le dis… C’est bon… bon… Vas-y, vas-y… encore…
– J’y vais, mon pote, j’y vais… Attends… Je vais finir… Après, les autres… ils ont des grosses bites… »

Le bouquin enchaîne les scènes de baise sans relâche mais ne leur confère aucun relief. Les chattes, les culs, les cons, les chibres défilent mécaniquement. « Canon pointé, prêt à faire feu » déclare un routier cochon au membre gaulois.
De ce spectacle pistonnant émerge une certaine frénésie n’allant pas sans rappeler, sur un mode mineur, les grandes œuvres pornographiques (mais bien trop méconnues) que Pierre Genève signa dans les années 60 en collections Citer et Véronèse Le lit à baldaquin, Culbutes, Une belle gonzesse, etc.

« Le calendrier n’indiquait certainement pas qu’on en était à la Saint-Anus mais ce fut tout de même sa fête » écrit l’auteur en pleine montée de sève.
Pour le lecteur désaxé, c’est aussi la fête.
Un publicitaire en veine de formules pourrait ainsi phraser que Sexum est à la pornographie guide-michelin ce que la cocaïne est au sucre en poudre.
Le dosage a de quoi abattre net un éléphant en parfaite santé mais ne fera par contre lever aucune trompe.
Probable que ce ne fut pas véritablement le but de l’affaire.
Il n’y a d’ailleurs ici aucun but.
Sexum est un roman inutile. Sexum est donc beau, à sa manière.

MANCHETTE AVANT LA LETTRE

APHRODITE-MANCHETTE

Fin 69, et alors qu’il cherche à caser chez divers éditeurs L’affaire N’Gustro, Jean-Patrick Manchette se voit proposer par Georges Lesser, du groupe Presses de la Cité / Solar, l’écriture d’un « porno de luxe » dans le cadre d’une « collection pornographique snob qui se lance. »

« Porno de luxe, ou plutôt de faux luxe, » note-t-il dans son Journal, « une sorte de Delly revu par l’invasion actuelle de représentation sexuelle parmi les produits de consommation. » Avant de détailler : « Les deux seules façons de rendre un tel travail supportable serait, 1° le traiter en hyper sophistiqué, style sadien, allusions littéraires, etc. 2° faire une moderne Philosophie dans le boudoir. Il serait aventuriste de commencer par le 2°. »

Ainsi en sera-t-il. Les chasses d’Aphrodite auront le hors-piste prudent. Dans cette affaire de safari sentimental et sanglant, tout est de prime abord calculé pour coller au petit 1 du plan Manchette.
Dolmancé et Madame de Saint-Ange n’auront pas voix au chapitre ; l’influence première sera plutôt à chercher du côté de chez Pauline Réage, comme il était de coutume à l’époque lorsqu’un auteur officiait dans le pornographique luxueux. André Pieyre de Mandiargues s’en lamentait alors fort justement : « La plupart des romans érotiques qui paraissent aujourd’hui, avec une abondance que je trouve aussi fastidieuse qu’inquiétante, sont des imitations ou de vulgaires plagiat de l’Histoire d’O. »

Heureusement, Les chasses d’Aphrodite dépassent rapidement ce cadre imposé par la mode. Le jeu de soumission entre un bourgeois sadien et sa virginale orpheline se transforme en jeu de massacre et, sans pour autant disparaître, la pornographie cède le pas au roman d’aventure sanglant à option politique.
Chassez le naturel, il revient au galop.
Et si Manchette ne néglige pas l’emploi d’une certaine rhétorique marxiste (« J’aime philosopher. Mais la philosophie est la pensée des propriétaires » fait-il dire à ce bourgeois cérébral qui s’imagine grand seigneur révolté), il n’oublie pas non plus sa passion pour le hard-bop et réussi à combiner ses deux marottes en une longue scène fragmentée se déroulant dans une discothèque jazz et dégénérant en une émeute raciale inspirée par celles de Watts en 1965 – événement insurrectionnel que les Situationnistes étudièrent avec beaucoup d’attention.
Ici, Black Panthers et adolescents inorganisés sèment la panique dans les rues, brûlent des bagnoles et tuent des flics tandis qu’une prostituée noire se fait violer par une foule de manifestants et de pilleurs – le tout traité avec un cynisme rappelant le ton de l’Affaire N’Gustro.

« L’attroupement se défait. Les voyous et les passants s’enfuient de toute la vitesse de leurs jambes. Seule reste, étendue, écartelée, la prostituée noire. Son ventre, ses seins, sa bouche sont barbouillés de sueur, de sang et de sperme. Elle remue vaguement. De la fenêtre du premier étage, [on] l’entend distinctement gémir.
– Ah, fait la noire, mon peuple m’a défoncée ! »

Comme pour ses précédents travaux alimentaires (la série d’aventures pour ados, Les têtes brûlées), Manchette turbine de conserve avec le scénariste Michel Lévine. Difficile, dans cette partie d’écriture à quatre mains, de savoir qui fit quoi. À priori, Manchette écrivait un premier jet et Lévine rallongeait la sauce.
Ainsi, et à l’opposé du style comportementaliste qui fit le sel de ses romans noirs, tout est expliqué, sur-exposé, psychanalysé.
Motivations, blessures, fantasmes, failles, tout répond à des concepts plaqués sur la gueule des protagonistes comme des bulles de photo-romans. Sexe et virilité, violence et frustration, intellect et manipulation, animalité et sauvagerie, liberté et révolution.
Dialectiquement, la démonstration est plutôt faiblarde mais fonctionne de par les lois frustes du genre populaire. Inutile de finasser. La littérature binaire table toujours sur le spectaculaire de sa force de frappe.
Manchette avait parfaitement assimilé ce principe.

La collection porno snob ne vit pas le jour. Régine Deforges racheta le bouquin à Manchette et Les Chasses d’Aphrodite parurent dans sa collection L’Or du Temps qui, en dépit de sa référence à la fameuse phrase d’André Breton – je cherche l’or du temps – misait moins sur les perspectives d’un surréalisme débridé que sur une captation toute pécuniaire de l’air du temps : sexe et violence.
En cela, ces Chasses remplissent parfaitement le contrat et se payent même le luxe d’avoir un longueur d’avance sur une bonne part des productions licencieuses de l’époque.
Avec son mélange de porno et de polar, son rythme frénétique et son intrigue au couperet sardonique, le roman rappelle plus certains récits noir des collections de poche érotique à venir (Eroscope et Brigandine en tête) que les molles érections des grand-formats crapoteux qui se vendaient alors par correspondance et se recevaient sous pli discret.
Même dans le registre de l’alimentaire pur, Manchette savait toucher juste.

Les Chasses d’Aphrodite, Zeus de Castro
Régine Deforge / L’Or du Temps, 1970.