JOLIE FILLE, MAUVAIS GLAÇON

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On connaît la formule ; elle est de Paul Valery. Il y a trois sortes de femmes : les emmerdantes, les emmerdeuses et les emmerderesses.
Haut lieu du machisme lettré, la Série Noire fit sienne cette proposition – dédaignant les emmerdantes, raffolant des emmerdeuses, se montrant chiche en emmerderesses.
Les plus rares sont les plus précieuses.
Deux me viennent automatiquement à l’esprit : la Eva de James Hadley Chase et la Chérie froide de Jean Delion.
On ne présente plus la première, prostituée pernicieuse interprétée à l’écran par Jeanne Moreau. La seconde, par contre, est plus obscure. Qui se souvient de Jean Delion, alias Raf Vallet, alias Jean Laborde ? Pas grand monde et c’est dommage.
Chroniqueur judiciaire, grand reporter et romancier, il usina au mitan des années 60 une petite dizaine de romans populaires d’excellente facture.
Il y eu d’abord une série d’espionnage chez Plon, publiée sous son vrai blase, et dans laquelle un agent secret français s’opposait aux manœuvres machiavéliques d’une mata-hari nouvelle vague, Olivia – « tendre, cruelle, exquise ou sadique suivant les heures. » La cinecitta en fit un film d’espionnage fauché, Le Tigre sort sans sa mère, avec Roger Hanin et Margaret Lee. Laborde, lui, avait déjà rebondi à la Série Noire et donnait, sous le pseudonyme de Jean Delion, quelques romans noirs à l’humour de la même couleur.
Ainsi, ce Chérie Froide, dans lequel une femme du monde, authentique glaçon et monument de narcissisme cynique, décide de supprimer ses amants dans les cocktails littéraires, les réceptions mondaines et autres raouts huppés. Une goûte de cyanure versée en loucedé dans un whisky-on-the-rock et c’est plié, avec en prime l’assurance du crime parfait. L’aiguille dans une botte de foin. Allez retrouver un assassin silencieux parmi deux-cents autres suspects formant une même foule bruyante, pépiante et clabaudante.
La formule fait florès, et la meurtrière des émules. La voila secondée dans ses œuvres par un jeune romancier plus raté que maudit, croisement improbable entre Jean Isidore Isou et Jean-Edern Hallier, et qui souhaite liquider ses adversaires littéraires comme elle les hommes ne l’ayant pas fait grimper aux rideaux.
S’en suit un jeu de massacre aussi impitoyable que réjouissant. Le tout-Paris y passe, le gotha trépasse. Ministres, cinéastes, écrivains, journalistes, couturiers, starlettes, playboys, jet-setters, sultans. L’œil exercé aux pages mondaines du Paris Match d’antan en reconnaîtra certains – José Luis Villalonga, Mireille Darc, Eddie Barclay, Françoise Sagan.  Le roman est à clef mais sans ostentation.
Tout cela fini bien évidemment dans le chaos le plus total. La farce vire à la fantaisie ravageuse. Le cyanure n’était qu’une mise de départ que Jean Delion fait fructifier jusqu’au trinitrotoluène.
« Comment l’esprit vient aux filles ? » se demande-t-il en page 202.
Réponse de circonstance : « En liquidant les garçons. »


Chérie froide, Jean Delion
éditions Gallimard / Série Noire # 1145, 1967.

PLAISIR DES YEUX : GEORGES PICHARD

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Revue Fou-rire, mars 1953, chez De Valance éditeur. Deux illustrations signées Georges Pichard, dont celle de couverture. Pour le reste, il y a tromperie sur la marchandise. Fou-rire ? En obtenir ne serait-ce qu’un à la lecture de cette petite revue où la grivoiserie bas du front le dispute au consternant sera ardu. Un morceau d’anthologie de l’humour colonial se déniche dans les toutes dernières pages de ce numéro : dans un village africain, deux noirs aux bouilles rigolardes-naïves et bouches lippues. Le premier découpe un corps humain et le second lui dit : « Moi, y en a demander la main de ta fille. » Roulement de caisse claire, éclat de cymbale. Qu’est-ce qu’on se marrait, en 1953 !

RÉGLEMENTS DE CON

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MÉMOIRES D’UN VIEUX CON, ROLAND TOPOR BALLAND, 1976

Rien de plus enquiquinant qu’un histrion de la mondanité lorsqu’il se pique de raconter en best-seller grand-format sa vie prétendument tumultueuse, se gargarisant d’une existence remplie à ras-bord, ressassant complaisamment le déroulé d’événements à la véracité douteuse.
Nostalgie de mes fesses pour vieilles carnes galonnées, décorées, desséchées ! Tout ce qu’on leur souhaite, à ces débris gâteux en mal de reconnaissance, c’est qu’une mort atroce vienne les cueillir salinguement. Et vite !
Ce mécanisme de vile remembrance, Topor en a parfaitement compris les possibilités comiques et, puisqu’il semblerait que le phénomène soit endémique en zone littéraire (les bruits de caisses enregistreuses restent formels), autant éternuer un bon coup en grossissant ces traits qui ne demandent qu’à se faire malmener.
Topor, donc, se raconte par le menu. Artiste peintre, conceptualisateur de choc, génie précoce et grand modeste devant l’éternel. Divin Topor ! Il a tout vu, tout vécu. Mieux encore : « Je les ai tous connus, tous ! Et ceux que je n’ai pas rencontré en chair et en os, je les ai vu à la télévision. C’est moi qui leur ai donné leurs meilleures idées, moi qui leur ai montré le chemin de l’Art Moderne. Ils se sont contentés de suivre la voie tracée par mon Œuvre. »
Ainsi, Dégas le craint, Picasso le vole, Breton le hait, Gertrude Stein l’admire et Garbo l’aime. Quant à Trotski, c’est en voulant gracieusement l’aider dans ses activités horticultrices que Roland lui fichu malencontreusement un coup de pioche dans la calebasse. « Il rendit le dernier soupir dans mes bras, en murmurant : ‘Vous êtes le plus grand artiste que j’aie rencontré… Promettez-moi de poursuivre votre oeuvre…’ »
TOPOR-VIEUXCON2On ricane pas mal – le ricanement de la hyène, méchant et mal-intentionné – à la lecture de cette faussautobio farfelue, tout en clignements appuyés de la paupière. Une célébrité par page, minimum. Certains trouveront ce name-dropping torrentiel éreintant. Qu’ils aillent se faire cultiver ailleurs. D’autant que, fidèle à son rôle de faussaire appointé à sa propre Histoire, notre vieux con prend ses aises avec les dates, les époques et les personnes (entre autres joyeusetés : John Cage artiste de caf’ conc’ et Arrabal contemporain de Goya) avant d’entamer un grand délire final où tout se bouscule et se mélange en un radotage de triste baderne incontinente. Mais le vieux con n’en a cure. Il est là pour régler ses comptes et faire briller son matricule.

« En véritable novateur, je fus incompris. On railla ma technique sans comprendre qu’elle annonçait l’Art de demain, c’est-à-dire de maintenant, enfin je veux dire l’Art du lendemain de l’époque dont je parle. Pour être plus clair, l’Art que l’on considérait à l’époque comme étant celui d’aujourd’hui, sans le savoir, puisqu’aujourd’hui est une notion récente qui date de ce matin. »

Ce roman a été réédité l’année dernière par Les Nouvelles Éditions Wombat. Facilement trouvable pour 15 boules dans toutes les bonnes librairies. Quant aux fouineurs d’emmaüs et autres rats de bouquineries, ils auront l’embarras du choix à mini-prix car, outre l’édition Balland ci-dessus, les mémoires du vieux con connurent deux autres éditions, la première en Livre de Poche (1981) et la seconde en Points Virgule (1988).

Et, tiens, puisque l’on cause de la collec’ Points Virgule, ça me fait penser qu’un récit assez proche de ces mémoires-là se trouve dans l’Opus 2 du Woody Allen, « Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la culture » – ce récit s’appelle Souvenirs de jeunesse d’un esthète et peut se lire intégralement ci-dessous, après avoir cliqué sur Continue reading « RÉGLEMENTS DE CON »