PORTRAIT DU JEUNE POÈTE EN RUT

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L’amateur éclairé de bizarreries et d’étrangetés connaît Mario Mercier pour, au moins, un film érotico-fantastique, La Goulve (« le premier film de witch cinéma » annonçait l’affiche) et pour un très beau premier roman, Le Journal de Jeanne, récit d’un affrontement entre deux sorcières sexuelles mêlant délires sadiens, poésie pop de bédés pour adultes, fracas lautréamonesque, folklore mutant ; roman naïf et furieux qu’Eric Losfeld publia en 1969 sous une couverture à l’accroche mémorable : « une littérature brute. »

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« Le Journal de Jeanne a été l’occasion de mon premier grand procès » peut-on lire dans l’autobiographie du séditieux éditeur, Endetté comme une mule. « (…) je savais que ce n’était pas un livre de tout repos. Il y avait une gageure. C’était l’éblouissement ou la descente en flamme. »
Claude Gallimard, de l’honorable maison du même nom, fit le déplacement à la 17e chambre du Correctionnel de Paris afin de défendre un livre qu’il n’aurait certes jamais publié mais qu’un de ses auteurs, André Pieyre de Mandiargues, tenait en haute estime. « Tout simplement par rapport au langage, dont [Mercier] use avec autant de liberté et de rapidité que les esprits enfantins ou déréglés. »
Sans surprise, Le Journal de Jeanne écopa de la triple interdiction, mais cela n’empêcha pas Mercier de récidiver. Le jugement semble au contraire avoir agi sur lui comme un catalyseur. Son second livre, recueil de nouvelles intitulé La Cuvée de singes et s’ouvrant sur une très éclairante citation du Marquis de Sade (« On n’est point criminel pour faire la peinture des bizarres penchants qu’inspire la nature. »), a tout du hurlement d’enragé, sans peur mais plein de reproches envers ceux qui édictent les lois.

« Dans les écoles, la société gorgeait les élèves de haricots mais les empêchait de péter. Parfois l’un de ces drôles explosait sous la pression des gaz, éclaboussant de pelures gluantes les salariés de l’inamovible morale. »

Composé de 16 pelures gluantes, La Cuvée de singes fait vinaigre. Les juges, la police, l’ensemble du corps social y est voué aux gémonies. Bien décidé à n’épargner personne, Mercier enchaîne à un rythme frénétique des fables baroques au sens parfois obscur, fleurant bon la sauvagerie, la noirceur et la misanthropie poussées à l’extrême, enrobées des saletés d’usage : dégueulis, déjections, éjaculations en tout genre. Parfois, cela évoque les hoquets désespérés de Maurice Raphaël dans sa trilogie du Scorpion – Ainsi soit-il, De deux choses l’une, Le Festival. À d’autres moments, ce sont les débordements du Jacques Sternberg de L’Employé (éditions de Minuit, 1958) qui nous reviennent, ce trop plein de l’imaginaire qui enfle dans les phrases, comme un cancer, puis explose en gerbes de visions inouïes. Le verbe, chez Mercier, est un caméléon jouisseur en proie à de soudaines crises de démence éthylique.
« Je pisse (…) sur les maxillaires des censeurs » écrit-il en introduction à l’une de ses nouvelles, Sonia La Mort. « Je jette sur les papilles de leurs langues, ces colimaçons de la honte, des pincées de hameçons attachés à des fils, et je tire. »
Les censeurs, prévisibles, mordirent à l’hameçon. Dans son rapport du 16 décembre 1970 (cité par Bernard Joubert dans son Dictionnaire des livres et journaux interdits), la Commission de Surveillance observe que « cet assemblage de scènes érotiques et souvent sadiques, décrites dans un style très cru, sinon parfois ordurier, est apte à provoquer les trois restrictions conjointes de l’article 14. »
La Cuvée de singes n’y coupa point. Interdiction de vente aux mineurs, d’exposition et de publicité.
En ces temps-là, involontairement, la censure constituait le meilleur des gages de qualité.

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La Cuvée de singes, Mario Mercier
Éditions Civilisation Nouvelle, 1970

PLAISIR DES YEUX : VAMPIRELLA

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« Comment passer sans transition du poème en prose au bazooka ? » se demandait André Hardellet dans Le parc des archers.
Mais la transition est-elle nécessaire ? Poème et Bazooka ne sont-ils pas les deux faces d’un même concept ? Souvenons-nous de l’anachorète de Sils-Maria, Frédéric N., qui déclarait dans Ecce Homo : « Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite. »
Et Vampirella, dans tout ça ?
Vampirella, c’est de la bombe.

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Ou plutôt : c’était.
Car si la production de nouvelles aventures se poursuit encore aux U.S.A., avec des innovations souvent discutables, il convient d’évoquer Vampirella au passé. L’age d’or de la fille de Drakulon est figé dans le marbre de ces années soixante-dix doucement psychédéliques, gentiment horrifiques, qui voyaient contre et pop cultures résonner tous azimuts et Barbarella se découvrir des petites sœurs peu farouches aux quatre coins du globe.

Jamais avares en produits de substitution, les états-unis lui déléguèrent ainsi une lointaine cousine, comme en témoigne l’aphérèse « ‘rella » de son nom.
Ses créateurs, l’éditeur James Warren et le scénariste Forest J. Ackerman, en eurent l’idée après avoir vu le film de Roger Vadim, définitivement marqués par une Jane Fonda aux costumes signés Paco Rabanne, dont cette robe expérimentale mêlant cotte de mailles, pièces en plastiques et rectangles d’aluminium.

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Moins étoffé, le costume de Vampirella a lui-aussi sa petite histoire. Imaginé et dicté au téléphone par l’auteur de bédé undergrounde et féministe Trina Robbins au peintre heavy-metalesque Frank Frazetta.
Le mariage de nitro et glycérine.
Mais la filiation avec l’héroïne de Jean-Claude Forest s’arrête là.
Barbarella explorait la galaxie, Vampirella fit le trajet à rebours. Venue de l’espace, elle échoue sur la terre, bien décidée à y combattre sa nature de vampire – elle a juré de ne jamais boire de sang humain – et le dieu du chaos, dont les attaques menacent la réalité. Tout cela peut sembler un brin guindé mais les scénarios d’Archie Goodwin demeurent légers, évitent tout second degré, et le charme opère.
Le désespéré aime les images naïves, n’est-ce pas ?

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D’autant que les images sont l’œuvre du dessinateur espagnol José Gonzalez. Un trait précis, maniéré, des flamboyances baroques et un goût pour les planches fracturées. Ce qu’il y perd en efficacité narrative, il le rattrappe en fulgurances graphiques. Certaines cases sont à tomber raide. On se croirait chez Jess Franco, avec ses excès de zoom, ses faux-raccords, ses plans effectués dans l’urgence mais qui n’arrivent pas à démentir la beauté de l’ensemble. Si elle n’était pas morte prématurément, on aurait d’ailleurs très bien pu imaginer Soledad Miranda, l’actrice fétiche du réalisateur de Vampiros Lesbos, interpréter Vampirella au cinéma.
L’éditeur américain, grand gamin yankee bercé aux bombes anatomiques, rêvait plutôt à Raquel Welch ; puis fini par demander à Barbara Leigh quelques séances de pose pour ses couvertures.
Ça n’alla pas plus loin.
Tant pis.

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En France, Vampirella fut traduite et diffusée en kiosque par Publicness de 71 à 76, puis brièvement par les éditions du Triton.
Dans l’ours, en page trois, on retrouve des anciens de Midi-Minuit Fantastique (Michel Caen) et des futurs de la Brigandine (Jacques Boivin, Jean-Pierre Bouyxou) ou des Humano (Dionnet) mais aussi un fasciste égaré (Serge de Beketch) et son âme damnée, Jean-Marc Loro, dont il faudra un jour redécouvrir les histoires de Sweet Délice qu’il donnait à la même période chez Pilote.
Dans le courrier, les lecteurs marquent leur enthousiasme (« chère Vampi (…) le graphisme de tes bandes atteint maintenant à une finesse et une unité remarquable, une telle richesse artistique et plastique ne se trouve nulle part chez tous tes sanglants concurrents. ») mais demandent surtout des reproductions de photos de films d’horreur. L’étrange créature du lac noir jouit d’une cote peu commune. Tout comme le Dracula de la Hammer.
La rubrique attribuée à nos cinéphages du bis s’intitule L’écran des maniaques et se retrouve dans les autres magazines que Publicness importe de chez Warren, Eerie et Creepy.
Dans le numéro 17 de ce dernier (février 1973), Christophe Gans, 13 ans, résidant à Antibes, se voit gratifier d’une photographie pleine page du Voyeur de Michael Powell.
Il y a un début à tout.

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Et une fin à ce billet.
Ainsi, au dos de chaque numéro, se trouvait cette réclame sur laquelle une Vampirella hiératique pointait du doigt son lectorat et lui disait : « Même si vos piles de Creepy et Eerie montent jusqu’au plafond de votre crypte, même si vous avez les premiers numéros de tous les Monster-Magazines, votre collection n’est rien s’il vous manque un seul numéro de Vampirella ! Dépêchez-vous de les commander, demain il faudra vous battre pour les obtenir ! »
Les collectionneurs à l’affût, prêts à tout lâcher pour cette proie de papier, n’oseront prétendre le contraire : La fille de Drakulon avait bien raison !

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Ci-dessus :
Vampirella / Tout en couleur, éditions du Triton, 1980, couverture de José Gonzalez pour le # 75 (US), 1979.
Vampirella # 19 (US), Warren publishing, septembre 1972, couverture de José Gonzalez.
Vampirella # 11 (FR), Publicness éditions, juillet 1973, couverture de José Gonzalez pour le # 24 (US), 1973.
Vampirella # 22 (FR), Publicness éditions, avril 1976, couverture d’Aslan pour l’Annual 1972.

JEAN-CLAUDE FOREST, PÉRIODE FICTION

FRAGMENTS D’UNE BIBLIOTHÈQUE EN DÉSORDRE, quatrième épisode. Le carton avait bien été déballé plusieurs mois auparavant mais les numéros de Fiction qu’il contenait étaient encore entassés en vrac dans l’étagère. Je les classe (il me faudrait d’ailleurs noter les manquants) et en viens rapidement à feuilleter ceux couvrants les six années, de 1958 à 1964, durant lesquelles Jean-Claude Forest illustre, de façon prépondérante, les couvertures de la fameuse revue littéraire de l’étrange, version française de The Magazine of Fantasy and Science-Fiction.
C’est, à mon avis, la période la plus intéressante de cette publication qui s’ouvrait alors par une citation de Prosper Mérimée : « Du bizarre au merveilleux, la transition est insensible et le lecteur se trouvera en plein fantastique avant qu’il se soit aperçu que le monde est loin derrière lui. »

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Les sommaires y sont aussi éclectiques qu’enthousiasmants. André Pieyre de Mandiargues, Fereydoun Hoveyda, Belen et Roland Topor côtoient Nathalie-Charles Henneberg, Robert Heinlein, Poul Anderson, Francis Carsac. On est à la jonction entre le Rayon Fantastique et les publications Losfeld.
Outre des nouvelles inédites, Fiction permet alors la redécouverte de textes majeurs comme Le tour d’écrou d’Henry James (numéros 90 et 91, mai/juin 1961) ou L’invention de Morel d’Adolfo Bioy Casares (numéro 103, juin 1962). Quant à la partie rédactionnelle, elle n’est pas en reste.
Dans le numéro 92 (juillet 1961), un article signé Pierre Strinati évoque l’age d’or des bandes dessinées de science-fiction en France : Luc Bradefer, Guy l’éclair, Mandrake le roi de la magie.
« Les jeunes lecteurs des ‘comics’ d’aujourd’hui » débute Strinati « ne peuvent imaginer ce que fut la grande période des bandes dessinées d’avant-guerre. »
Et nous, avec nos blogs et nos podcasts, nos spécialistes et nos lieux consacrés, peut-on se représenter le choc que fut pour certains cette reconnaissance toute fragmentaire d’une culture populaire qui n’était pas encore culture de niche, contre-culture, culture tout court ?

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Dans le numéro suivant (# 93, août 1961), Jean-Claude Forest prend le relais et poursuit l’exploration en se remémorant quelques récits oubliés, tel l’incroyable Saturne contre la terre, bédé italienne publiée dans Le journal de Toto, mais aussi Le magicien de la forêt morte, Les pionniers de l’espérance, ou bien encore ce Futuropolis « illustré par Pellos dans un style, disons… furieux. »
La machine s’emballe. Entre les lecteurs, la rédaction de Fiction et la petite bande d’agités de la librairie Le Minotaure, germe l’idée d’un club de la bande dessinée. Celui-ci naît l’année suivante, officialisé par un faire-part dans le numéro 102 de Fiction, mai 1962. Son président est Francis Lacassin. Parmi ses membres se trouvent Alain Robbe-Grillet, Delphine Seyrig, Edgar Morin, Chris Marker et deux fanas de Mandrake qui longtemps caresseront le rêve de donner vie au magicien de Lee Falk sur grand écran : Alain Resnais et Federico Fellini.
Dans la foulée est lancée la mythique revue du club, Giff-Wiff. La direction artistique en est assurée par Jean-Claude Forest.
Mais ça, c’est une autre histoire…

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Ci-dessus : Fiction # 82 (septembre 1960), # 86 (janvier 1961), # 90 (mai 1961), # 93 (aout 1961), # 100 (mars 1962), # 103 (juin 1962), # 105 (aout 1962).

LA PAPESSE ET SES APÔTRES

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Roman fulgurant écrit en 1931, à la fois récit érotique, fantastique et satanique, La Papesse du Diable opère une parfaite synthèse entre fiction populaire et fièvre surréaliste.
« Le Vieux Monde s’écroule, le sang coule, les ruines s’accumulent. La désolation règne partout et Elle apparaît, chevauchant un grand cheval blanc. »
Elle, la papesse du Diable, l’Archimagesse, la Reine du Monde, l’égale des Dieux.
Avec son armée arabo-asiatique, elle ravage l’occident, plante le drapeau jaune frappé d’un croissant vert et d’une swastika rouge en plein Paris et crucifie le dernier pape en haut de la tour Eiffel.
Véritable foire apocalyptique en 140 pages, La papesse du Diable ne tergiverse pas. Son sabbat est sauvage et païen.

En cela, le livre est parfaitement fidèle au programme surréaliste de la période héroïque – ce milieu des années 20 où Breton et les siens louaient la sagesse orientale, vomissaient une Europe mortifère, en appelaient aux « archanges d’Attila » (Desnos) pour nier et régénérer leur monde.

« Venez, jetez bas nos maisons » écrivait Artaud (in La Révolution Surréaliste # 3) tandis qu’Aragon, dans ses fragments d’une conférence prononcée à Madrid le 18 avril 1925 (RS # 4) lançait l’anathème :
« Monde occidental, tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe, prenez garde, ou plutôt non : riez encore […] Nous nous liguerons avec les grands réservoirs d’irréel. Que l’Orient, votre terreur, enfin à notre voix réponde. Nous réveillerons partout les germes de la confusion et du malaise. Nous sommes les agitateurs de l’esprit. […] Juifs, sortez des ghettos. Qu’on affame le peuple, afin qu’il connaisse enfin le goût du pain de la colère ! Bouge, Inde aux mille bras, grand Brahma légendaire. À toi Égypte. Et que les trafiquants de drogue se jettent sur nos pays terrifiés. Que l’Amérique au loin croule de ses buildings blancs au milieu des prohibitions absurdes. Soulève-toi, monde ! »
Et de conclure : « Riez bien. Nous sommes ceux-là qui donneront toujours la main à l’ennemi. »

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Mais revenons-en à La papesse du Diable. Si certains en attribuent la rédaction à Renée Dunan (que l’on croise en page 66 de l’édition Losfeld) ou à Robert Desnos (pour quelle raison ? aucune idée), se cachent en réalité sous les pseudonymes de Pierre de Ruynes et Jehan Sylvius le romancier populaire et poète méconnu Pierre Renaud (ou Comte Pierre Renaud du Flot) et le surréaliste atypique Ernest de Gengenbach, alias Jean Genbach, auteur des fameux L’Abbé de l’abbaye et Satan à Paris.

Au sujet de ce dernier, et à défaut de posséder son « autobiographie mythomaniaque » (L’expérience démoniaque, paru chez Minuit en 49, repris chez Losfeld en 68), on peut se référer à la troisième partie, chapitre II, de l’Histoire du Surréalisme de Maurice Nadeau (éditions du Seuil, 1945) :
« Abbé chez les Jésuites de Paris, il s’éprend d’une actrice de l’Odéon [en fait, Musidora, la Vamp de Louis Feuillade et l’idole des Surréalistes] et fréquente en sa compagnie restaurants et dancing. Défroqué par son évêque, il perd son amie qui ne l’aimait qu’en soutane, et tombe par hasard sur un numéro de la Révolution Surréaliste au moment où il pensait se suicider. Il ne se jette donc pas dans le lac de Gérardmer […] mais entre en contact avec Breton et ses amis. On le voit au Dôme, à la Rotonde, un œillet à la boutonnière de la soutane qu’il a revêtue à nouveau par provocation, une femme sur les genoux, pris à parti par les biens-pensants qu’il prend plaisir à scandaliser. Il partage son temps entre une vie mondaine scabreuse, le repos chez une artiste russe à Clamart, et la retraite à l’abbaye de Solesmes. »

Un sacré coco qui se repentira (passagèrement) de ses excès surréalistes à la fin des années 30 en dénonçant Breton « comme l’incarnation présente de Lucifer » et que l’éditeur Eric Losfeld évoque, avec une affection non feinte, dans son autobiographie Endetté comme une mule (Belfond, 1979) :
« En fait, je connaissais, depuis l’époque où je fréquentais le Scorpion [maison d’éditions fondée par Jean d’Halluin en 1946], ce personnage qui eu le don de m’éblouir, quand ce ne serait que par son orgueilleuse allure. La confusion heureuse de l’après-guerre lui était favorable. […] Le procès retentissant, scandaleux, de l’ancien résistant René Hardy avait repointé sur Gengenbach les projecteurs de l’actualité, car cet officier avait une maîtresse qu’il partageait avec Gengenbach, une sorte de magicienne nommée Lydie Bastien : une femme d’une grande beauté et qu’on accusait d’être l’ange noir du colonel Hardy.
[…] c’était un tapeur, c’est toujours un tapeur hors concours. Son excuse était et reste une réelle misère
. […]
Quand je l’ai retrouvé, il s’était fait consacrer évêque cathare de la Montagne noire. À l’entendre, il avait même créé un schisme. Il m’a confié le manuscrit (impubliable, vu son épaisseur) de son Rituel de la messe d’or, « trait d’union » entre la messe noire et la liturgie traditionnelle, entre l’érotisme luciférien et son contraire, la chasteté des officiants catholiques. Bref, un chaos de contradictions. »
S’en suivent quelques anecdotes avant que Losfeld ne conclue par un rappel au présent :
« Je venais de terminer ces lignes lorsque le facteur m’a apporté une lettre dont l’écriture est celle de Gengenbach, mais comme déformée par la douleur. Il m’apprend qu’on vient de lui couper la jambe à la suite d’une artérite. »

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Gengenbach décédera le 26 décembre de la même année, un mois après Eric Losfeld (18 novembre 1979).
Pierre Renaud, l’autre signataire du roman, s’était quant à lui éteint quatorze ans plus tôt, oublié de tous.
Dans La Papesse du Diable, la réalité est tout autre – merveilleux privilège de la fiction. Les deux auteurs comptent parmi les poètes préférés de la Papesse et si l’on apprend que Pierre Renaud termina ses jours « en odeur de sainteté, sous le froc cistercien, dans un vieux monastère ibérique », Gengenbach, lui, y est « devenu archevêque de Pékin. »
Mais, rajoute la cruelle Papesse, « il était déjà bien vieux lorsque les Chinois lui coupèrent la tête, qui fut promenée au bout d’une lance devant mon palais… »
Définitivement, les barbares sont sans pitié.