LA SOUPE AUX SCHULTZ

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Si, selon Héraclite, on n’entre jamais deux fois dans un même fleuve, il est par contre parfaitement possible, dans le registre de la filouterie littéraire, d’ingérer à de multiples reprises la même soupe.
Ainsi, ce premier roman de George Maxwell, Laboratoire de mort lente (C.P.E. / Contre-espionnage # 7, 1952), que je pensais ne pas avoir lu alors que je me l’étais déjà bien fadé trois ans plus tôt sous un autre titre, signé d’un autre pseudonyme et publié chez un autre éditeur.

George Maxwell, l’amateur de roman de gare le connait surtout pour des séries de polar violents et énervés dans lesquelles des femmes aussi fatales que déterminées – La môme Double-Shot, Miss One-Shot, Miss Luger, le Jaguar, Miss Bomb Baby – dament le pion aux traditionnels gangsters et détectives privés du hardboiled à l’américaine.
Mais avant de se faire un nom dans le registre bien particulier du sexy-noir, Maxwell signa une poignée de récits d’espionnage plus traditionnels, inspirés par le succès des Lemmy Caution de Peter Cheney : Espions à Frisco, Alerte aux F.B.I., Tous des pourris (qui, si mes souvenirs sont bons, donne plutôt dans le pastiche de James Hadley Chase) ou bien encore ce fameux Laboratoire de mort lente.

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Dans ce roman, l’agent secret Max Baker, matricule X.107, est envoyé en Autriche afin d’enquêter sur la mystérieuse disparition de deux collègues du service. Enquête peu folichonne. Baker pratique un espionnage pédestre et campagnard, effectuant ad libitum des aller-retours entre la cahute en bois de son correspondant autrichien et la louche usine hydraulique en construction qui abrite sous ses fondations le laboratoire secret des méchants S.S.
En bon pithécanthrope du bouquin d’action, Baker enchaîne aussi les bagarres, transformant à coups de poing et de pied le visage de ses adversaires en « pâte molle » puis les questionnant en leur brûlant les oreilles avant de s’en débarrasser d’un coup de surin dans la nuque, méthode qu’il prise pour son aspect parfaitement indolore (« […] le S.S. n’eut même pas le temps de réaliser qu’il s’en allait tout droit au Paradis des Waffen. »)
Afin de relancer un brin l’intérêt du lectorat somnolent, apparaît dans le dernier tiers une aguichante fraülein nazie, « bête sanguinaire et détraquée, capable du pire avec un tranquille assurance et, peut-être, une singulière inconscience. »
Max couche avec elle puis la torture en sacrant « saloperie de gonzesse ! » – c’est le passage le plus chouette du livre – avant de conclure son aventure par une course poursuite en Mercedes et un dynamitage en règle du labo des méchants nazis.
Emballé, c’est pesé.

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Tout cela, je l’avais donc déjà lu courant 2015. Le roman s’appelait alors Appels inconnus, était signé Paul Martin, avait paru en 1959 dans la collection Le Caribou d’André Martel.
Max Baker s’y appelait Guy Robin, « l’as du S.R. français, » et l’action se déroulait non pas en Autriche mais en Allemagne. Le premier chapitre était sensiblement différent. Le reste coulait à l’identique, avec parfois un peu plus d’alcool dans les veines.
Dans ma note pour ce blog, j’écrivais alors : « c’est une espèce de rejet des éditions du Trotteur, de ces bouquins à la George Maxwell période Double-Shot mais en avorté, en pas bien fini, un bras en moins et la tronche en vrac. »
Inconsciemment, j’avais tout juste.
Reste maintenant à dénicher d’autres Maxwell camouflés.

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En fouillant dans ma collection de Caribou, je tombe sur Mission tragique, signé Red Keller.
Le résumé, au dos du bouquin, vend la mèche dans le style brinquebalant habituel : « San-Francisco. Les Chinois pullulent, les espions beaucoup trop – le F.B.I. s’inquiète et dépêche un de ses meilleurs agents : Duke – Mais voila, le nid de ces espions semble être la légation chinoise elle-même – alors c’est pas du tout cuit […] »
Au contraire, c’est du réchauffé. On reconnait là Espions à Frisco, le premier roman d’espionnage que Maxwell signa aux éditions du Trotteur de Roger Dermée.
Exactement comme pour Laboratoire de mort lente / Appels inconnus, le chapitre introductif diffère légèrement et le nom de l’espion change. Pour le reste, c’est du kif.
Toujours au catalogue du Caribou, se trouve un second bouquin signé Red Keller : Radar inconnu. Ne l’ayant pas dans mes cartons, je ne peux que spéculer. S’agit-il d’Alerte au F.B.I., le second espionnage de Maxwell chez Dermée, ou bien serait-ce un inédit ?
Mystère…
Demeure surtout une interrogation quant à l’origine de ces recyclages : George Maxwell, de son vrai nom Georges Esposito, en était-il l’artisan ou bien ceux-ci furent effectués par ses peu scrupuleux éditeurs, messieurs Dermée et Martel, et sans que l’auteur n’en soit informé ?
Pour le coup, il sera duraille d’avancer une réponse…

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(La soupe coule à flot. Ci-dessus, une autre édition d’Espions à Frisco : Ça barde à Frisco, signé Ernie Lane. Éditions Bellevue, collection Les grands romans franco-américain # 6, 1973.)

KRIMINAL / SYMPHONIE EN NOIR (1977)

(Ce billet fut précédemment publié sur l’ancien blog, le 20 avril 2012)

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Importé une première fois par les éditions de Poche à la fin des sixties, ressorti quelques années plus tard par Elisa Press dans le bazar le plus total et sous le nom du Spectre, l’anti-héros italien Kriminal termina sa carrière francophone en 1977, sous la houlette fripouillarde du grand André Guerber.
En bon irresponsable éditorial spécialisé dans les chiures populaires à la godille et mors-moi-l’noeud, Guerber massacra les bandes, coupant dans le vif, sans scrupule (à l’image de l’apocope de Kriminal en Krimi) et saupoudrant le tout de dialogues argotiques à la vulgarité pas piquée des hannetons.

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Grosse bousculade au portillon. Y’a du « marlou » et du « cavedu« , ça se « rebiffe » et ça « clamse« , le langage châtié passe à l’as – même les familles bourgeoises et les perdreaux ont le phylactère assaisonné au poivre de la langue verte.
Une petite vieille réclame des « coups de pompe dans le troufignard » de son gendre qui, avec sa bonne petite gueule d’ange noir à la Bastiani, déclame un peu plus loin à une nistonne en bikini : « J’vais te sabrer ! »
Pas de chance pour cézigue, la case suivante, un croque-en-patte l’envoie à la baille, bon pour s’astiquer le gai-luron seulabre.
Mais le comble (du bonheur) est atteint en pages 62 & 63, lorsque Kriminal se relaxe sur la plage en compagnie d’une petite poule qu’a le goût des sensations fortes.

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C’est beau, l’amour.

ITSI BITSI PIN-UP BIKINI

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C’est un genre en soi, quelque part entre le fanzinat inconscient et la piraterie éditoriale.
Les photographies sont découpées dans les pages de Cinémonde ou de ces merveilleuses revues de nus artistiques des années 50, type Paris Cocktail et Paradise ou Folies de Paris et de Hollywood. Les dessins sont chouravés dans des numéros de 100 Blagues ou de V Sélection. On y reconnait Lassalvy, René Caillé, Pichard et quelques autres.

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(ci-dessus, une peinture d’Aslan volée aux éditions de l’Arabesque.
Il s’agissait de la couverture du roman
Venus des Neiges,
collection Parme # 16, 1956)

Quant aux textes, leur origine reste non-contrôlée. Des articles sur la sexualité, des récits galants, des blagues pas drôles.
Le tout, imprimé sur papier torche-fesse et pesant entre 32 et 36 pages, n’est que très légèrement olé-olé mais possède le charme des publications fauchées et inutiles avec parfois, au détour d’une page, de menues surprises, comme cette Betty Page, rebaptisée Sheree Kirk et citant Freud.

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(Bunny Yeager ? cambriolée !)

À la toute fin, le responsable de la chose signe son forfait (l’idiot !) et nous donne même son adresse.
Au fil des revues (Belamie, Mam’sel, No Magazine, Rififi…), quatre noms reviennent, immanquablement.
C’est le gang des trafiquants d’images coquines !

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D’abord, nous avons monsieur Van Der Bogaert et madame Jeanne Baert, tout deux domiciliés Ter Heydelaan, à Deurne (Anvers, Belgique).
Ensuite, monsieur Theys, lui aussi basé sur Anvers mais habitant la rue Volk.
Et enfin, leur correspondant français, un certain Marcel Picavet, 39 rue Sedaine à Drancy (Seine Saint-Denis).
Peut être un jour en saura-t-on plus sur ces pieds-nickelés de l’érotisme belge (et sur leur d’Artagnan Séquano-Dionysien…)
Voila en tout cas un beau sujet d’étude pour les générations futures.

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(cet article fut précédemment publié sur l’ancien blog Müller-Fokker,
le 1er mars 2013. Quelques erreurs ont depuis été corrigées.)

PAS DE QUOI S’EN BARBOUILLER LE BÉNARD…

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MAUVAISES PASSIONS (EVIL ROOTS), WALTER UNTERMEYER JR. UNIVERSAL PUBLICATION / S.E.P.U., 195?

J’ai traîné mes guêtres pendant cinq bonnes berges à Bruxelles, hantant les puces du jeu de balle, la librairie Pêle-mêle, Nuit de Chine, Les petits riens, tout ces hauts lieux de perditions pour le bibliomane désaxé que je fus (et resterait éternellement) sans jamais tomber sur ce bouquin. Non. Jamais. Il a fallu que, deux piges plus tard, après m’être soigneusement rapatrié en France histoire de me désintoxiquer du bicky burger, de la westmalle triple et des filles en papier glacé, je tombe sur ce bidule au fin fond d’une bouquinerie d’Alès.
Alès, rien que ça, déjà, t’as des frissons. Une ville peuplée de ploucs pathologiquement faibles et d’abrutis consanguins, maçons la semaine et rugbymen le dimanche. Je pense très sincèrement que rien de fondamentalement bon ne peut sortir de ce trou paumé et pourtant, pourtant, on y déniche une bouquinerie, 24 rue de la république, en plein centre ville. Pour exemple, Béziers, qui est un bled à peu près aussi flippant qu’Alès avec son maire psychotique et sa faune de désœuvrées ultra-pauperisés buveurs de maximators tièdes, eh bien Béziers n’a plus de bouquineries depuis belle lurette. Et d’ailleurs, puisque j’en suis arrivé à ce type de considérations, les bouquineries qu’on y trouvait auparavant était approximativement aussi craignos que la ville elle-même, c’est dire l’angoisse.
Bref, tu vas me bonnir que je m’éloigne du sujet et je te rétorquerai que je rempli, nuance. Car ce bouquin, je ne l’ai pas lu. Négatif. J’ai beau être capable d’absorber des quantités assez incroyables de machins franchement peu commodes voire farouchement déglingués, ce bidule là était au dessus de mes capacités lecturales. Suffit d’ailleurs de se farcir le premier paragraphe pour comprendre ma douleur :

« Anne Sickles fit une corne à la page de son livre avant de le poser à côté d’elle. C’était un roman passionnant. Elle venait de finir le chapitre où le jeune tueur vient de séduire la fille sur la banquette arrière de la voiture. C’était vraiment excitant et stimulait son imagination. Elle espérait que Fred rentrerait tôt à la maison et ne serait pas trop fatigué… »

Non, vraiment, ce n’est pas possible. Surtout que Fred rentre tard, complètement vermoulu, le drapeau en berne, popol au placard et que du coup, la nistonne, cette petite partie de jambes en l’air qu’elle se prévoyait avec son jules, elle peut y faire une croix dessus, et toi itou.
Alors, pourquoi est-ce que j’en cause, de cette saloperie ? Trois raisons. D’abord, parce que ce fut imprimé à Bruxelles, probablement dans la seconde moitié des fifties (le livre n’est pas daté) et pour le compte d’une obscure maison d’édition Belge, la Universal Publications.
(Il faudra un jour sérieusement se pencher sur les quelques enseignes crapuleuses de littérature populaire qui fleurirent après-guerre en Belgique.)
Ensuite, parce que ce titre fut piraté à deux reprises par notre filou favori André Guerber – la première fois en 1960, même titre, même nom d’auteur, numéro 8 de la collection Cristal des éditions du Champs de mars, et la seconde fois en 1963, aux éditions Bel-Air, collection Détective Pocket numéro 3, sous le titre de Donne-moi cette femme, signé William Ard et amputé de 5 bons chapitres. Sacré Guerber !
Et enfin, si j’en cause, c’est tout simplement pour sa première et quatrième de couverture qui reprennent à l’exactitude la maquette du paperback US, chose extrêmement rare – voire unique – dans l’édition francophone.

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Tout ça pour ça, donc ? Oui, tout ça pour ça. Mais comme disait l’autre : la prose, faut que ça déjectionne. Et ça m’emmerderait de le faire mentir.