JEAN-CLAUDE FOREST, PÉRIODE FICTION

FRAGMENTS D’UNE BIBLIOTHÈQUE EN DÉSORDRE, quatrième épisode. Le carton avait bien été déballé plusieurs mois auparavant mais les numéros de Fiction qu’il contenait étaient encore entassés en vrac dans l’étagère. Je les classe (il me faudrait d’ailleurs noter les manquants) et en viens rapidement à feuilleter ceux couvrants les six années, de 1958 à 1964, durant lesquelles Jean-Claude Forest illustre, de façon prépondérante, les couvertures de la fameuse revue littéraire de l’étrange, version française de The Magazine of Fantasy and Science-Fiction.
C’est, à mon avis, la période la plus intéressante de cette publication qui s’ouvrait alors par une citation de Prosper Mérimée : « Du bizarre au merveilleux, la transition est insensible et le lecteur se trouvera en plein fantastique avant qu’il se soit aperçu que le monde est loin derrière lui. »

FICTION086

FICTION090

Les sommaires y sont aussi éclectiques qu’enthousiasmants. André Pieyre de Mandiargues, Fereydoun Hoveyda, Belen et Roland Topor côtoient Nathalie-Charles Henneberg, Robert Heinlein, Poul Anderson, Francis Carsac. On est à la jonction entre le Rayon Fantastique et les publications Losfeld.
Outre des nouvelles inédites, Fiction permet alors la redécouverte de textes majeurs comme Le tour d’écrou d’Henry James (numéros 90 et 91, mai/juin 1961) ou L’invention de Morel d’Adolfo Bioy Casares (numéro 103, juin 1962). Quant à la partie rédactionnelle, elle n’est pas en reste.
Dans le numéro 92 (juillet 1961), un article signé Pierre Strinati évoque l’age d’or des bandes dessinées de science-fiction en France : Luc Bradefer, Guy l’éclair, Mandrake le roi de la magie.
« Les jeunes lecteurs des ‘comics’ d’aujourd’hui » débute Strinati « ne peuvent imaginer ce que fut la grande période des bandes dessinées d’avant-guerre. »
Et nous, avec nos blogs et nos podcasts, nos spécialistes et nos lieux consacrés, peut-on se représenter le choc que fut pour certains cette reconnaissance toute fragmentaire d’une culture populaire qui n’était pas encore culture de niche, contre-culture, culture tout court ?

FICTION093

Dans le numéro suivant (# 93, août 1961), Jean-Claude Forest prend le relais et poursuit l’exploration en se remémorant quelques récits oubliés, tel l’incroyable Saturne contre la terre, bédé italienne publiée dans Le journal de Toto, mais aussi Le magicien de la forêt morte, Les pionniers de l’espérance, ou bien encore ce Futuropolis « illustré par Pellos dans un style, disons… furieux. »
La machine s’emballe. Entre les lecteurs, la rédaction de Fiction et la petite bande d’agités de la librairie Le Minotaure, germe l’idée d’un club de la bande dessinée. Celui-ci naît l’année suivante, officialisé par un faire-part dans le numéro 102 de Fiction, mai 1962. Son président est Francis Lacassin. Parmi ses membres se trouvent Alain Robbe-Grillet, Delphine Seyrig, Edgar Morin, Chris Marker et deux fanas de Mandrake qui longtemps caresseront le rêve de donner vie au magicien de Lee Falk sur grand écran : Alain Resnais et Federico Fellini.
Dans la foulée est lancée la mythique revue du club, Giff-Wiff. La direction artistique en est assurée par Jean-Claude Forest.
Mais ça, c’est une autre histoire…

FICTION100

FICTION103

FICTION105

Ci-dessus : Fiction # 82 (septembre 1960), # 86 (janvier 1961), # 90 (mai 1961), # 93 (aout 1961), # 100 (mars 1962), # 103 (juin 1962), # 105 (aout 1962).

JEAN-CLAUDE FOREST / UNE CHANSON

Jean-Claude Forest n’avait pas froid aux chasses. Entre deux bédés aux atours plus classiques, le papa de Barbarella expérimentait tous azimuts : collages en couverture de la revue Fiction, photo-roman pour la revue Plexus, animation pour l’émission de télé Dim-Dam-Dom et enfin pop-music dans les pages de la revue Phénix.
Titre du morceau : L’homme à la méhari. Date de sortie : 1973.
Du pur tube undergrounde ayant troqué les ondes longitudinales de l’acoustique pour les traits courbes du dessin encré.
Inutile de tripoter le bouton du volume. La chanson s’écoute avec les yeux et ressemble à ces jerks merveilleux que pondaient en loucedé d’obscurs groupes gaulois de la fin des sixties – les Papyvores, les Fleurs de Pavot, Guy Skornik, Bruno Leys – tout ce bruyant bastringue que l’on retrouve notamment sur les compilations Wizzz du label Born Bad : guitares fuzz, batterie freakbeat, échos sidéraux et arrangements hel-èss-diques.
Allé, chauffe, Jean-Claude !

FOREST1 FOREST2 FOREST3 FOREST4

JEAN-CLAUDE FOREST / MAGICIENNES / 1967

On savait Jean-Claude Forest brillant touche à tout. Pour les couvertures de la revue Fiction, entre deux illustrations aux techniques plus classiques, le papa de Barbarella s’essayait à des collages saugrenus et baroques, sortes de transcriptions par l’image d’un univers à la Natalie-Charles Henneberg.FOREST_PLEXUS
Pour l’émission télévisée Dim Dam Dom, accompagné d’André Ruellan, son beau-frère, et de Serge Gainsbourg, il se frottait à l’animation avec la belle Marie Mathématique.
Et pour la revue Plexus, petite sœur sexualisée du Planète de Bergier et Pauwels, il s’attaqua au photo-roman (ou roman-film) le temps d’une carte blanche de 21 pages.
Ce fut à l’occasion du numéro 9. Le sommaire est alléchant (Sternberg, Tito Topin, Lo Duca, San-Antonio) et la date révélatrice : 1967.
Roger Vadim n’a pas encore donné le premier coup de clap au strip-tease en apesanteur de Jane Fonda que Jean-Claude Forest transpose déjà ses délires sur pellicule, substituant à l’amazone spatiale des magiciennes cosmiques et un Mandrake in disguise.
Fumigènes, patins à roulettes, apparitions démentes, bath costumes à la Rabanne et terrain vague psychérotique…

« … Comprenez-vous à présent quels dangers se cachent derrière les miroirs à minettes, et sous les accents du crypto-jerk ? »

Continue reading « JEAN-CLAUDE FOREST / MAGICIENNES / 1967″