ENFER ET CONTRE TOUT

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IL GELE EN ENFER, ELLIOTT CHAZE
GALLIMARD / SÉRIE NOIRE # 196, 1954

Ouvrons le ban par une généralité : Il gèle en enfer est bien ce fameux Série Noire dans lequel une femme fatale à loilpé prend un bain de biftons – moment saisissant s’il en est puisque combinant en un flash tous les motifs déviants du roman noir – sexe, mort, argent, voyeurisme, frustration, folie :

« Elle était assise sur le plancher, toute nue, au milieu d’un tas de billets verts. […] Elle ramassait les billets à pleines mains et se les laissait retomber sur la tête de telle sorte qu’ils glissaient sur ses cheveux couleur crème, puis sur ses épaules et sur son corps. Sa bouche laissait échapper un son qui n’avait rien d’humain. C’était comme un hurlement assourdi, comme un long sanglot mêlé de rire. Sans fin. Le sanglot et la pluie de billets. Les billets qui glissaient le long de son corps rigide.
Elle ne se rendit même pas compte que je la regardais.»

Mais Il gèle en enfer est avant tout, comme nombre de ces polars U.S. importés en France au cours de la période cartonnée et à jaquette de la S.N., un constat violent sur le capital et la valeur morale que l’on accorde aux rapports sociaux en découlant.
Ici, le narrateur, las d’une existence à trimer pour survivre, désire soustraire sa force de travail en montant un casse définitif – casse qui, pour le coup, passe par une nouvelle plongée dans le monde du turbin à la chaîne afin d’en financer la mise en œuvre. On n’en sort pas, on n’en sort jamais. Le héros et sa vamp de compagne non plus, bouffés par les mécaniques désirantes, se déchirant et s’étreignant, fuyant sans cesse et finissant (mal) dans un délire paranoïaque total et enneigé. Un certain chantre du néo-polar qualifiait ce roman de « perle», j’ai envie d’augmenter la mise et d’écrire « diamant.»

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CARAMBOUILLE DE CARIBOU

CARIBOU-17

MISSION TRUQUÉE, JAMES HARRY CLARK
LIBRAIRIE DE LA CITÉ / LE CARIBOU # 17, 1959

Il n’y a pas que la mission qui soit ici truquée. Le pseudonyme de l’auteur l’est aussi. James Harry Clark, pensez donc ! Avec ce grand anglais de James Hadley Chase, numéro un des ventes de la Série Noire à tonton Duhamel, le démarquage est fameusement grossier. Méfiez-vous filous ! Mais ce n’était pas ce genre de détails qui, dans les années 50 et 60, arrêtaient les éditeurs de troisième zone dans leur course à l’échalote. Quelques numéros plus tôt, les mêmes édition du Caribou (tenues par ce forçat de la rotative qu’était André Martel) nous gratifiaient d’un Cadavre en soldes signé au marteau par un certain Mike Spiller.
Pourquoi se gêner ?
Et pourquoi aussi s’emmerder à faire coïncider l’arnaque du pseudonyme en carton avec celle du bouquin en toc ?
Ainsi, ce Mission Truquée n’est-il pas un roman noir machiavelo-sadique à la sauce Chase mais bien un banal bidule d’espionnage à la fabrication aussi fastoche que sa digestion s’avère pénible, façon Jean Bruce et compagnie.
Le héros, Leo Laurens, est agent secret – « et plus secret que n’importe lequel pour préciser la chose ! » nous stipule exclamativement l’auteur. Il a des « yeux de braise« , « un sens olfactif digne d’un fauve, race à laquelle il s’apparentait par certains côtés » et se fait surnommer « Le Français » en raison de ses origines. Son patron, Bernard Yocum Nichols, dit le grand boss, le lance sur la piste d’un professeur allemano-ricain détenteur de la formule R.G.3, un métal à base « de Galium et d’alumine pur. » La belle jambe que ça nous fait.
Leo Laurens, qui aime bien se travestir – « pour les besoins de la cause, je suis obligé d’emprunter différentes personnalités, qui modifient d’autant mon aspect » explique-t-il, page 159, à une belle gonzesse – se déguise en ex-boxeur reconverti détective privé miteux puis s’en va débrouiller l’affaire en distribuant des cours de karatés gratos à tous les affreux qui se dressent sur son chemin.

« En un centième de seconde, Léo fit entrer en action un Atemi waza, suivi d’un Ishi ken répété, complété d’un Kateme waza pas très orthodoxe en raison des circonstances.« 

Les formulations sont parfois fantaisistes, le ton peu sérieux. On sent que le rombier camouflé derrière la carambouille pseudonymique de James Harry Clark s’amuse comme un petit fou. Problème : il est bien le seul. Le lecteur, lui, aura plutôt tendance à sauter les pages. Ou à lâcher l’affaire. Quant à moi, je pourrais évidement t’affirmer avoir esquissé un petit sourire en coin ici ou là mais ce serait truquer ma conclusion.
Ce sera donc non.

CARIBOU-16

APPELS INCONNUS, PAUL MARTIN
LIBRAIRIE DE LA CITÉ / LE CARIBOU # 16, 1959

Même collection, un numéro plus tôt. On peut procéder d’autor à la constatation suivante : s’il est une chose pour laquelle les français sont connus, c’est bien leur penchant à la picole généreuse, à la carburation copieuse, à l’arrosage de viande sauce éthylique à volonté.
Cette réputation, notre héros, Guy Robin, « l’as du S.R. français, » ne la fait pas mentir. Pour un soiffard, c’est un soiffard. Et pas des moindres. L’homme liche sec et ne fait pas la fine bouche, engloutissant des hectolitres de liquides sans s’enquérir des origines des bidules dont il s’humecte. Rince-cochon, scotch, bière, fortifiant non identifié, qu’importe l’étiquette, l’essentiel réside dans l’hydratation du système et l’afflux d’entrain qui en découle.
Vu l’état dans lequel il a rendu sa copie, l’auteur semble avoir lui aussi appliqué la même méthode. Mots manquants, phrases vides de sens et intrigue ne pouvant être qualifié de décousue puisque « être décousu, » cela implique à la base une certaine quantité de tissu qui fait ici grandement défaut.
Résumons la chose en deux courtes gorgées : Envoyé dans la région de Breslau (Allemagne) sur les traces de deux collègues disparus, Guy Robin découvre puis sabote les sinistres expériences d’une bande d’ex-S.S.
« Je suis connu pour aller jusqu’au bout, » qu’il nous bonnit, le Guy. Et l’auteur d’en rajouter une couche, dans un style résolument zigzagant et pataugeant :

« Il ne se vantait pas, d’ailleurs. À partir du moment où il se mettait en chasse, il ne se faisait pas grâce de la moindre parcelle de sentiment. Il était très redouté et beaucoup à cause de cela, nonobstant son adresse diabolique. »

Ainsi donc, notre implacable héros est lancé dans la mêlée. Il se bagarre, il assomme, il boit, il flingue, se fait trahir, reprend un p’tit coup, torture, se rince les amygdales, fout le rif’ et fait du schproum, comme d’habitude. Tout y est mais en vrac, sans équilibre ni suspense. C’est une espèce de rejet des éditions du Trotteur, de ces bouquins à la George Maxwell période Double-Shot mais en avorté, en pas bien fini, un bras en moins et la tronche en vrac.
Les ex-S.S. ont avec eux une fraulein nazie, « bête sanguinaire et détraquée, capable du pire avec un tranquille assurance et, peut-être, une singulière inconscience. » Elle n’apparaît qu’au bout de 150 pages (sur 190), comme par hasard, au petit poil pour relancer les enjeux. Guy couche avec elle puis la torture en sacrant « saloperie de gonzesse ! » – c’est le passage le plus chouette du livre – avant de conclure son aventure par une course poursuite en mercedes et un dynamitage en règle du labo des méchants nazis. Rideau. On a suffisamment trinqué. Inutile de compter sur le patron pour vous resservir une tournée. La bouteille est vide.