IL GELE EN ENFER, ELLIOTT CHAZE
GALLIMARD / SÉRIE NOIRE # 196, 1954
Ouvrons le ban par une généralité : Il gèle en enfer est bien ce fameux Série Noire dans lequel une femme fatale à loilpé prend un bain de biftons – moment saisissant s’il en est puisque combinant en un flash tous les motifs déviants du roman noir – sexe, mort, argent, voyeurisme, frustration, folie :
« Elle était assise sur le plancher, toute nue, au milieu d’un tas de billets verts. […] Elle ramassait les billets à pleines mains et se les laissait retomber sur la tête de telle sorte qu’ils glissaient sur ses cheveux couleur crème, puis sur ses épaules et sur son corps. Sa bouche laissait échapper un son qui n’avait rien d’humain. C’était comme un hurlement assourdi, comme un long sanglot mêlé de rire. Sans fin. Le sanglot et la pluie de billets. Les billets qui glissaient le long de son corps rigide.
Elle ne se rendit même pas compte que je la regardais.»
Mais Il gèle en enfer est avant tout, comme nombre de ces polars U.S. importés en France au cours de la période cartonnée et à jaquette de la S.N., un constat violent sur le capital et la valeur morale que l’on accorde aux rapports sociaux en découlant.
Ici, le narrateur, las d’une existence à trimer pour survivre, désire soustraire sa force de travail en montant un casse définitif – casse qui, pour le coup, passe par une nouvelle plongée dans le monde du turbin à la chaîne afin d’en financer la mise en œuvre. On n’en sort pas, on n’en sort jamais. Le héros et sa vamp de compagne non plus, bouffés par les mécaniques désirantes, se déchirant et s’étreignant, fuyant sans cesse et finissant (mal) dans un délire paranoïaque total et enneigé. Un certain chantre du néo-polar qualifiait ce roman de « perle», j’ai envie d’augmenter la mise et d’écrire « diamant.»