POUPÉES GOURDON

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LE DIABLE AU SOLEIL, FLEUVE NOIR ESPIONNAGE # 839, 1970
OPÉRATION PONCTUELLE, FLEUVE NOIR ESPIONNAGE # 869, 1971
AUX BONS SOINS DU VICOMTE, FLEUVE NOIR ESPIONNAGE # 870, 1971

Les romans d’espionnage du Fleuve Noir, on sait pourquoi on les chine. Pour les jolies nénettes peintes en couverture. Surtout celles de la période fin 60 à mi-70, ce moment de l’histoire des sous-littératures qui vit S.A.S triompher sur le marché du hall de gare et les autres, à la traîne, essayant de raccrocher tant bien que mal les wagons de la surenchère sexualosanguinolente à coup de scène choc par-ci et de plan cul par-là.
Évidemment, du simple fait qu’il annonçait d’entrée la couleur aux clients indécis, Michel Gourdon, l’illustrateur légendaire des collec’ Spécial-Police et Espionnage du Fleuve, fut largement mis à contribution. Fini les espions en trench coach qui affichaient en couvertures leurs trombines viriles et place aux nistonnes en nuisettes, gambettes primesautières et parechocs audacieux. Trois exemples – encore assez prudes – ci-dessus. Soyez rassurés, les années qui suivirent virent les quantités de tissu réduire et les tétons s’affûter dans une logique artistique propre à renverser le plus maussade des chauffeurs de poids-lourd.
Quant aux textes que ces mignonnes petites ponettes emballent, ce serait faire erreur que de sans cesse les négliger. Si l’on fera, par exemple, constamment l’impasse sur les romans de Marc Arno (plus emmerdant qu’un mauvais Coplan), ceux de Fred Noro sont toujours de petites réussites dans le genre « action et bons sentiments » et ceux de Michel Carnal, ce Hussard de l’espionnage, mériteraient à eux-seuls un très long article tout à la gloire de son personnage principal, Philippe Larsan, un mec désabusé, nonchalant et caustique au point d’évoquer le François Sanders de Roger Nimier, cette refonte 1945 du héros romantique à la pose baroque et fatigante.
On y reviendra.

DIABOLIQUE FAVIERES !

diaboliquesRDV

DIABOLIQUES RENDEZ-VOUS, ANDRÉ FAVIERES
JAQUIER / LA LOUPE POLICIER, 1958

Il y a, dans les petits romans qu’André Favières publiait aux éditions Jacquier, une certaine excentricité qui rappelle ces récits populaires de l’entre-deux-guerres, ces succédanés de Fantômas, ces imitations ratées de crimes anglais, ces pastiches échevelées d’Edgar Allan Poe.
Ainsi, dans Diaboliques Rendez-Vous, l’habituel duo des romans policiers de Favières, le commissaire Armand et l’écrivain criminaliste André Gerard, traque un mystérieux criminel qui assassine des femmes en les étranglant avec leurs propres bas.
Comme (presque) toujours, le roman se déroule à Nice et l’ambiance s’y fait plutôt gothique. Ombres menaçantes, brumes maléfiques, hurlements qui déchirent la nuit et ces fameux points de suspensions à tout-va, marque de fabrique d’un auteur passé maitre en l’art du frisson à quat’sous et de l’épouvante désuète.
L’ensemble ressemble à un de ces Krimi farfelus que l’industrie cinématographique Allemande produisit en masse dans les années 60 et qui influencèrent ostensiblement les gialli italiens. Meurtriers en gants noirs, détails extravagants, dérèglements sexuels, révélations saugrenues.
Dans Diaboliques Rendez-Vous, des femmes sont enlevées par un sadique en plein délire fétichiste tandis que la police soupçonne un artiste de nu aux apparences de proxénète. Une étrange poudre blanche est retrouvée sur les lieux du crime et une lettre déchirée semble designer l’assassin. Un singe meurtrier s’attaque à nos héros, un sculpteur fou moule ses victimes dans du plâtre et des suites de fusillades éclatent en onomatopées.

« Tacatacatacata… Ziiiiouuum… Tacatacatacata… »

…écrit Favières. Aux yeux d’un lectorat sérieux, notre homme passera sans aucun doute pour un sacré clown, un fantaisiste un peu crétin, l’exact opposé de l’écrivain policier appliqué. À coups d’intrigues bizarroïdes, il malmène le rationnel, met à pied la logique, décapite la cohérence. Voila un bel artisan du Grand-Guignol en littérature. Ses personnages sont des pantins, l’invraisemblable est monnaie courante. Il s’agit d’accumuler le plus de rebondissements, de situations inextricables, de séquences aberrantes, afin de mieux faire frémir son prolo de lecteur, cet être foncièrement crédule.
À la fin, plus rien ne tient debout, c’est la grosse déglingue déductive. Favières tente bien évidement de recoller les morceaux en un long épilogue explicatif d’une vingtaine de pages mais les dégâts sont trop importants. Bast ! Si vous aimez les auteurs qui retombent sur leurs pattes, allez voir ailleurs si le plaisir y est. Ici, l’arrivée en bonne et due forme ne compte pas, seul le trajet – alambiqué, tortueux, cocasse – est à considérer.
Et si Diaboliques Rendez-Vous n’est certainement pas ce que les gens tristes appellent un « bon roman », il n’en reste pas moins un divertissement passionnant de par ses accents baroques, ses remugles morbides, ses savoureuses incohérences et sa volonté constante de dépasser la mesure en dépit du bon sens.
Car chez Favières, trop, ce n’est jamais assez.
Et c’est tant mieux !