LE GUIDE DU QUEUTARD

sexum
Sexum, Max Lover (éditions C.E.F, 1971)

La pornographie a ceci de merveilleux que tout, absolument tout, y est possible. Non seulement « la réalisation du désir devance sa formulation » (pour reprendre les mots d’Annie le Brun) mais réalisation et formulation enfoncent joyeusement tous les excès, se permettent toutes les outrances, combinant l’incroyable à l’aberrant, l’étonnant à l’atterrant, envoyant le bon goût à la baille comme l’on tire la chasse.

Ainsi ce bouquin de pas grand chose, récupéré lors d’une razzia aux Petits Riens de la rue américaine d’Ixelles : Sexum.
Le titre, roublard, braconne sur les terres d’Henry Miller mais la volonté d’une certaine honorabilité littéraire n’ira pas plus loin.
La présentation ne saurait faire illusion. Sexum est un sale bouquin de cul. Sexum est pur de tout artifice culturel. Sexum sera nul et sa nullité demeurera rayonnante.

Les premières pages sont en cela parfaitement édifiantes. Georges, notre héros, prend un bain. Le bout de son gland émerge du fil de l’eau et, sur cet « îlot perdu au milieu de l’océan, » Georges pose un hanneton.

« La bouche entrouverte, Georges se laissa envahir par le plaisir. Il n’y avait pas de quoi se mordre les lèvres ! Même une suceuse maladroite aurait fait mieux ! Néanmoins, ce hanneton s’y prenait assez bien et ses petites pattes détenaient un réel pouvoir de jouissance. Baiser avec un hanneton, c’était presque aussi original que d’enculer des mouches ! »

Entre deux spasmes, Georges se questionne. « […] quel était son sexe, à ce hanneton. Avec un mâle, ne se livrait-il pas à un acte de pédérastie ? »
Enfin, Georges éjacule et son jet propulse l’insecte dans les airs, k-o.
Le roman est lancé.
Et si la suite ne surenchérira pas quant à l’absurdité totale de cette scène initiale – cas unique, je pense, de mélolonthinophilie en littérature lubrique – elle entérine néanmoins un niveau de loufoquerie assez rare dans le genre, habituellement plutôt terne, du bouquin de sex-shop.

Classiquement structuré en un feuilleton épistolaire (un couple libertin, Georges et Rosa, échange via les PTT ses expériences de débauche en province) et parsemé de minables calembours tout juste dignes d’un sous-San Antonio, Sexum joue au porno de terroir et opère une radiographie gentiment allumée de la France du bas-ventre.
Défilent ainsi, le long de cette pérégrination désirante au cœur de notre sexagone secrète, un python lubrique des bords du Cher, des nains circassiens du Jura, un cheval de trait du sud-ouest creusois, une femme enceinte orléanaise et les onze joueurs du football-club de Dole.

Sur une aire d’autoroute du 38 (Isère), madame s’envoie en l’air avec des pandores motorisés et, tandis que le premier lui enfonce le canon de son pistolet réglementaire dans le fion, le second se pogne en malmenant son dard « comme il l’aurait fait d’un gauchiste. »
Plus tard, à Lons le Saunier, la voila qui suce un artiste de cabaret. « Tu sembles avoir réinventé l’art de la fellation. Tu es le Picasso de la pipe, le Salvador Dali du pompier… Quelle personnalité ! Quel talent !… Chapeau à tes maîtres… »

De son côté, tout seulabre à Limoges, Monsieur repense la lutte des classe en marx arrière. « J’aime assez sodomiser un ouvrier qui sent la sueur et le linge pas très frais » nous confie-t-il avant de se faire sauvagement pilonner le derche par un bande de prolétaires nord-africains adeptes de l’huile d’arachide.

« – Dis-moi que c’est bon d’être enculé, hein ! Dis-le…
– Je le dis, je le dis… C’est bon… bon… Vas-y, vas-y… encore…
– J’y vais, mon pote, j’y vais… Attends… Je vais finir… Après, les autres… ils ont des grosses bites… »

Le bouquin enchaîne les scènes de baise sans relâche mais ne leur confère aucun relief. Les chattes, les culs, les cons, les chibres défilent mécaniquement. « Canon pointé, prêt à faire feu » déclare un routier cochon au membre gaulois.
De ce spectacle pistonnant émerge une certaine frénésie n’allant pas sans rappeler, sur un mode mineur, les grandes œuvres pornographiques (mais bien trop méconnues) que Pierre Genève signa dans les années 60 en collections Citer et Véronèse Le lit à baldaquin, Culbutes, Une belle gonzesse, etc.

« Le calendrier n’indiquait certainement pas qu’on en était à la Saint-Anus mais ce fut tout de même sa fête » écrit l’auteur en pleine montée de sève.
Pour le lecteur désaxé, c’est aussi la fête.
Un publicitaire en veine de formules pourrait ainsi phraser que Sexum est à la pornographie guide-michelin ce que la cocaïne est au sucre en poudre.
Le dosage a de quoi abattre net un éléphant en parfaite santé mais ne fera par contre lever aucune trompe.
Probable que ce ne fut pas véritablement le but de l’affaire.
Il n’y a d’ailleurs ici aucun but.
Sexum est un roman inutile. Sexum est donc beau, à sa manière.