PLAISIR DES YEUX : VAMPIRELLA

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« Comment passer sans transition du poème en prose au bazooka ? » se demandait André Hardellet dans Le parc des archers.
Mais la transition est-elle nécessaire ? Poème et Bazooka ne sont-ils pas les deux faces d’un même concept ? Souvenons-nous de l’anachorète de Sils-Maria, Frédéric N., qui déclarait dans Ecce Homo : « Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite. »
Et Vampirella, dans tout ça ?
Vampirella, c’est de la bombe.

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Ou plutôt : c’était.
Car si la production de nouvelles aventures se poursuit encore aux U.S.A., avec des innovations souvent discutables, il convient d’évoquer Vampirella au passé. L’age d’or de la fille de Drakulon est figé dans le marbre de ces années soixante-dix doucement psychédéliques, gentiment horrifiques, qui voyaient contre et pop cultures résonner tous azimuts et Barbarella se découvrir des petites sœurs peu farouches aux quatre coins du globe.

Jamais avares en produits de substitution, les états-unis lui déléguèrent ainsi une lointaine cousine, comme en témoigne l’aphérèse « ‘rella » de son nom.
Ses créateurs, l’éditeur James Warren et le scénariste Forest J. Ackerman, en eurent l’idée après avoir vu le film de Roger Vadim, définitivement marqués par une Jane Fonda aux costumes signés Paco Rabanne, dont cette robe expérimentale mêlant cotte de mailles, pièces en plastiques et rectangles d’aluminium.

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Moins étoffé, le costume de Vampirella a lui-aussi sa petite histoire. Imaginé et dicté au téléphone par l’auteur de bédé undergrounde et féministe Trina Robbins au peintre heavy-metalesque Frank Frazetta.
Le mariage de nitro et glycérine.
Mais la filiation avec l’héroïne de Jean-Claude Forest s’arrête là.
Barbarella explorait la galaxie, Vampirella fit le trajet à rebours. Venue de l’espace, elle échoue sur la terre, bien décidée à y combattre sa nature de vampire – elle a juré de ne jamais boire de sang humain – et le dieu du chaos, dont les attaques menacent la réalité. Tout cela peut sembler un brin guindé mais les scénarios d’Archie Goodwin demeurent légers, évitent tout second degré, et le charme opère.
Le désespéré aime les images naïves, n’est-ce pas ?

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D’autant que les images sont l’œuvre du dessinateur espagnol José Gonzalez. Un trait précis, maniéré, des flamboyances baroques et un goût pour les planches fracturées. Ce qu’il y perd en efficacité narrative, il le rattrappe en fulgurances graphiques. Certaines cases sont à tomber raide. On se croirait chez Jess Franco, avec ses excès de zoom, ses faux-raccords, ses plans effectués dans l’urgence mais qui n’arrivent pas à démentir la beauté de l’ensemble. Si elle n’était pas morte prématurément, on aurait d’ailleurs très bien pu imaginer Soledad Miranda, l’actrice fétiche du réalisateur de Vampiros Lesbos, interpréter Vampirella au cinéma.
L’éditeur américain, grand gamin yankee bercé aux bombes anatomiques, rêvait plutôt à Raquel Welch ; puis fini par demander à Barbara Leigh quelques séances de pose pour ses couvertures.
Ça n’alla pas plus loin.
Tant pis.

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En France, Vampirella fut traduite et diffusée en kiosque par Publicness de 71 à 76, puis brièvement par les éditions du Triton.
Dans l’ours, en page trois, on retrouve des anciens de Midi-Minuit Fantastique (Michel Caen) et des futurs de la Brigandine (Jacques Boivin, Jean-Pierre Bouyxou) ou des Humano (Dionnet) mais aussi un fasciste égaré (Serge de Beketch) et son âme damnée, Jean-Marc Loro, dont il faudra un jour redécouvrir les histoires de Sweet Délice qu’il donnait à la même période chez Pilote.
Dans le courrier, les lecteurs marquent leur enthousiasme (« chère Vampi (…) le graphisme de tes bandes atteint maintenant à une finesse et une unité remarquable, une telle richesse artistique et plastique ne se trouve nulle part chez tous tes sanglants concurrents. ») mais demandent surtout des reproductions de photos de films d’horreur. L’étrange créature du lac noir jouit d’une cote peu commune. Tout comme le Dracula de la Hammer.
La rubrique attribuée à nos cinéphages du bis s’intitule L’écran des maniaques et se retrouve dans les autres magazines que Publicness importe de chez Warren, Eerie et Creepy.
Dans le numéro 17 de ce dernier (février 1973), Christophe Gans, 13 ans, résidant à Antibes, se voit gratifier d’une photographie pleine page du Voyeur de Michael Powell.
Il y a un début à tout.

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Et une fin à ce billet.
Ainsi, au dos de chaque numéro, se trouvait cette réclame sur laquelle une Vampirella hiératique pointait du doigt son lectorat et lui disait : « Même si vos piles de Creepy et Eerie montent jusqu’au plafond de votre crypte, même si vous avez les premiers numéros de tous les Monster-Magazines, votre collection n’est rien s’il vous manque un seul numéro de Vampirella ! Dépêchez-vous de les commander, demain il faudra vous battre pour les obtenir ! »
Les collectionneurs à l’affût, prêts à tout lâcher pour cette proie de papier, n’oseront prétendre le contraire : La fille de Drakulon avait bien raison !

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Ci-dessus :
Vampirella / Tout en couleur, éditions du Triton, 1980, couverture de José Gonzalez pour le # 75 (US), 1979.
Vampirella # 19 (US), Warren publishing, septembre 1972, couverture de José Gonzalez.
Vampirella # 11 (FR), Publicness éditions, juillet 1973, couverture de José Gonzalez pour le # 24 (US), 1973.
Vampirella # 22 (FR), Publicness éditions, avril 1976, couverture d’Aslan pour l’Annual 1972.

4 thoughts on “PLAISIR DES YEUX : VAMPIRELLA”

    1. Je comprends. C’est à la fois sans profondeur mais très sérieux. Les personnages se découvrent des motivations en une case. Rien n’est jamais creusé. Je crois bien que c’est cela qui me séduit dans ce type de bande. Un certain absolu du naïf.

  1. Bonjour,
    j’ai toujours trouvé intéressante cette période où les États-Unis essayèrent une nouvelle fois d’envahir la France (sous-) culturellement. C’est à cette époque que les super héros vont aussi apparaître et prouve aussi comment les aides à la Presse étaient -et sont encore- détournées par une presse états-unienne regroupée en Trust, rendant impossible la lutte sauf via des politiques qui n’assumeront jamais leur rôle (le journal de Mickey bénéficie de ce système).
    Cela étant, cela a permis de découvrir d’excellents dessinateurs pour la génération de cette période et si tout a disparu, Epic puis Fantastik/Ère Comprimée vont faire revenir cette période dans les années 80, ce qui ne correspond toujours pas à ma génération, mais peu s’en faut! Il me faudra attendre la fin des années 80 pour connaître (après deux numéros eus en vrac d’une des revues) un univers que j’ai su faire cohabiter avec la célèbre bédé franco-belge aujourd’hui bien attaquée dans ses « parts de marché ».
    Si le personnage de Vampirella est emprunté sans nul doute à JC Forest via Barbarella, ce sont les dessinateurs et la qualité de ces derniers qui vont populariser un temps le personnage, qui va vite retomber aux oubliettes par la suite, tout au moins en France. Si Soleil a tenté de relancer Vampirella avec deux gros albums, l’un avec l’époque dorée et l’autre en version moderne couleurs dont le dessin ne vaut pas ceux d’antan, elle aura donné naissance cependant à un autre personnage, Vampi, dont les histoires, glauques à souhait, trônaient sans problème avec les revues enfants alors que ça aurait dû être interdit aux moins de 18 ans (on ne parle pas de pornographie mais d’histoires absolument affreuses avec un dessin américano-japonais loin du coup de patte de José Gonzales par exemple).
    On peut citer en autres personnages conçus sur le mode Barbarella puis Vampirella: Druuna (une Sally Forth sans la drôlerie des situations) de Serpieri, où l’aspect sex-appeal du personnage est à son paroxysme puisqu’elle évolue souvent nue comme un ver dans la bédé et le postulat de base sert de prétexte à de la quasi pornographie, mais aussi d’un personnage de la série Hombre, série que j’adore (scénario d’Antonio Segura), dessinée par José Ortiz (qui dessina aussi Vampirella) avec le personnage Attila apparaissant en cours de route (contrairement à ce que prétendait un critique à la sortie du premier volume français de la série, celle-ci est antérieure à Druuna et l’histoire n’est aucunement un prétexte à de la crypto-pornographie). On peut dire qu’avec Yoko Tsuno, seul personnage tous publics non super héros et ne jouant pas sur la séduction, le thème de la femme dans la bédé est à lui seul tout un sujet de thèse, et si Vampirella impressionne par la qualité des dessinateurs s’étant attelé à la série, les scénarios, qui ne sont pas des chefs d’œuvres de narration, se laissent lire sans déplaisir même si pas retors, car cela demeure efficace, l’époque n’étant pas encore propice à des exagérations et effets qu’on rencontre dans les séries télé d’aujourd’hui du fait de la maturité des effets spéciaux, et que la censure aurait eu tôt fait de mettre le holà sur des scénarios trop délurés ou sanguinolents, ce qui ne fut plus le cas une trentaine d’années après avec le personnage Vampi.

  2. Merci pour ce billet doux dont la morsure a un goût de… reviens-y.
    J’ai toujours adoré ces revues, et ces lectures, et, quand bien-même on ne pourrait les juger qu’à l’aune des qualités scénaristiques de leurs bandes traduites, (voyons : ces dessins !! ces ambiances !!) elles font parties de toute cette culture de seconde zone qui m’a accompagné durant toute mon adolescence (voire avant ?). C’étaient celles de mon grand frère, que j’ai fait miennes ensuite, allant jusqu’à largement augmenter l’épaisseur des piles, alors uniquement constituées de Métal Hurlant, Epic, l’Echodes savanes spécial USA, Pilote…etc. Damné je suis, c’est sûr, mais comment pourrait-il en être autrement, avec des revues nommées Creepy, Eeerie, Vampirella, voire Le Cauchemar ?…
    Publicness, certes, mais pas SANS public.

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